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passages mis en garde contre une semblable témérité. Il serait aisé de montrer combien d’attributions contradictoires sont restées de la philosophie scolastique dans la théodicée moderne et ont particulièrement servi à la fortune du panthéisme; mais de certains excès de doctrine, de certaines imprudences de la spéculation conclure à un fonds de contradiction incurable dans toute science théologique, c’est reproduire le plan d’attaque de tous les ennemis de la philosophie contre elle, c’est suivre la marche de tous ceux qui ont voulu forcer la raison au scepticisme. Me répondrez-vous : Qu’importe, si le procédé est légitime et si l’attaque porte coup? Ici je n’apprendrai rien à M. Mansel en disant que tout scepticisme lance lui-même le trait qui revient le frapper. La contradiction qu’il impute, il y tombe. M. Mansel a pris pour épigraphe ces mots de Hamilton : « Aucune difficulté ne s’élève en théologie qui ne se soit préalablement élevée en philosophie. » De cette proposition, qui d’ailleurs voudrait être expliquée, qu’entend-il inférer? Que les difficultés sont surmontables ou qu’elles ne le sont pas? Solubles, il faut les résoudre en théologie comme en philosophie. Insolubles, fermons nos livres et taisons-nous. M. Mansel est pour les difficultés insolubles. Il en trouve autant dans l’hypothèse de l’incrédulité que dans celle de la foi. Tant mieux; mais ce n’est pas la question. Il en trouve autant dans la théologie naturelle, autant dans la théologie dogmatique, quand il ne s’agit même que de l’idée de Dieu. Ainsi la foi, dès qu’elle est science à un certain degré, est contradictoire et tombe sous les coups de la dialectique. Pour elle donc point de salut, si elle ne devient étrangère à toute dialectique, si elle ne demeure la foi sans la science. Dans cet état, elle peut défier les objections; le raisonnement, parfaitement valable quand on l’emploie contre l’une, n’est plus de mise avec l’autre. Pour quel motif ? On ne le dit pas. Pourquoi? Je le comprends, si c’est l’inquisition qui l’interdit. Je le comprends encore, si le raisonnement est sans puissance effective. Mais nous parlons en liberté, et il n’est que trop vrai que la foi la moins raisonnée ne résiste pas toujours à des argumentations qu’on prétend tirer du sens commun; or ce n’est pas l’en défendre que de lui conseiller de ne rien écouter. La discussion est ouverte, et puisqu’on discute, il faut raisonner. Ce serait prendre un singulier moyen de se tirer de péril que de s’abstenir, sur ce fondement que le raisonnement est pliable en tout sens, que les philosophies les plus religieuses, les théologies les plus orthodoxes recèlent des contradictions, et qu’en d’autres termes on ne peut rien savoir de Dieu. Au fond, c’est à cette conséquence que pourrait être poussé M. Mansel. S’il dirige des critiques contre les notions théologiques, c’est apparemment parce qu’il croit ces critiques bonnes, et il les croit bonnes, parce qu’elles sont communes à