Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hésita, désirant peut-être un appel, puis rentra dans la maison lentement. Au bout d’une heure, Rodolphe et Salomé étaient arrivés près d’un site sauvage aux environs du Wildersee ; ils s’assirent dans l’herbe, sous l’ombre de grands hêtres devant lesquels s’ouvrait un horizon de forêts. Autour d’eux, dans la bruyère épaisse, des sapins vaincus par le vent se tordaient au ras du sol, et mêlaient leurs rameaux verts aux ronces et aux buissons de houx. Des nuages qui couraient dans le ciel jetaient de grandes ombres sur la montagne ; une solitude profonde les enveloppait. Salomé regarda du côté du couchant, d’où montaient lentement des flocons de vapeur qui rampaient au flanc d’un ravin. Bientôt après, ces flocons glissèrent au-dessus de la ligne de l’horizon, effleurèrent un instant la cime des arbres, puis se perdirent dans le ciel, où la lumière les colora d’une teinte d’or. Les yeux de Salomé, qui les suivaient dans leur vol, se mouillèrent, et sa poitrine se gonfla. — Où vont-ils ? murmura-t-elle.

Rodolphe lui prit la main, et, comme réveillé subitement : — Qu’avez-vous ? lui dit-il.

— Je ne sais. Je m’en veux de pleurer, et je pleure. Toutes les fois qu’une circonstance particulière me tire de la quiétude accoutumée où mes jours s’écoulent, je cède à cette sensation, à ce besoin. Mon cœur est comme un vase plein qu’une main imprudente secoue ; le contenu du vase s’épanche au dehors. Et cependant le Seigneur ne nous a pas octroyé le don des larmes pour les répandre, sur des maux imaginaires ; elles nous soulagent dans les sérieuses afflictions de la vie, et nous permettent encore de consoler ceux qui souffrent. Pourquoi donc les miennes coulent-elles sans cause et sans tarir, comme l’eau de cette source où tout à l’heure nous avons bu ? Ah ! Dieu me châtiera pour des larmes si peu justifiées !

Il y eut un moment de silence. Rodolphe, ému, observait ce visage, animé alors de tous les feux et de tous les désordres d’un désespoir qui faisait explosion. La glace s’était fondue : il y avait de la flamme dans les yeux, de la douleur, mille passions dans le pli des lèvres. La statue avait une âme et une voix.

— Ne me croyez pas folle, reprit Salomé avec un doux sourire, qui anima sa bouche décolorée d’une grâce ineffable. Il m’a semblé, du premier jour que vous m’êtes apparu, que vous étiez un frère qui veniez me secourir. Peut-être, devinerez-vous ce que je ne devine pas, et m’aiderez-vous à guérir. Je suis une pauvre fille ignorante, et vous venez des pays où l’on sait.

Amenée à parler d’elle-même par une de ces secousses violentes et soudaines dont les natures les plus concentrées subissent à certains momens l’irrésistible empire, Salomé raconta à Rodolphe qu’une