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cement de ce siècle. Un des premiers ouvrages qui servaient à leur apprendre le latin était un traité de morale connu dans les classes sous le nom de Selectœ. Le premier livre est intitulé de Dieu, et dans ce premier livre un des premiers paragraphes qu’il fallait expliquer peut se traduire ainsi : « De même que si l’on entre dans une maison, un gymnase ou un forum, dès qu’on voit en toutes choses l’ordre, la mesure, la discipline, on ne peut penser que tout cela ait lieu sans cause, mais on comprend qu’il y a quelqu’un qui commande et qui est obéi; de même et bien plus encore, à la vue de tant de changemens, de tant de vicissitudes, de l’ordonnance régulière d’autant et d’aussi grandes choses que les corps célestes, ordonnance dont l’immense et infinie antiquité ne s’est jamais démentie, on doit nécessairement prononcer que tant de mouvemens de la nature sont gouvernés par quelque intelligence. » Je me rappelle ces mots, tirés de Cicéron dans son traité de la Nature des Dieux, comme la première expression générale que j’aie entendue de l’argument pris du spectacle du monde en faveur de l’existence d’un ordonnateur suprême.

C’est ainsi que la croyance en Dieu est érigée en une notion claire, accessible, saisissante, et qui, bien que familière, populaire même, est restée philosophique. Parmi les anciens et les modernes, elle a inspiré une foule de belles pages, et même des ouvrages entiers, qui se lisent encore avec profit. A mesure que la science de la nature s’est perfectionnée, l’argument a transformé ses applications; mais, employé avec plus de discernement, appuyé sur des faits mieux avérés et mieux connus, il n’a pas changé au fond et n’a rien perdu de sa nature. Il a été consacré en quelque sorte par la science moderne, il a pris rang parmi les principes de la philosophie naturelle le jour où, dans le livre qui en est le code fonda- mental, le révélateur du système du monde en a tiré pour conclusion générale, scholium generale, l’existence d’une cause première, dont l’intelligence et la volonté sont l’origine de l’univers, qui lui est soumis[1].

Cette idée scientifique et philosophique est aussi une idée chrétienne; c’est Voltaire lui-même qui la retrouve dans le verset : « Les cieux racontent la gloire de Dieu, cœli enarrant gloriam Dei. » Prise absolument et sans commentaire, elle ne conduit guère qu’à la notion d’un dieu ordonnateur du monde, qui n’en est créateur qu’autant qu’il l’a produit sous la forme du ciel et de la terre : il n’est l’auteur que du Cosmos phénoménal que décrit Humboldt, et que la science observe et calcule ; mais cette idée se concilie égale-

  1. Phil. Nat. Princip. math., l. III, Schol. gen. et Optic, l ; III, q. 31.