Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/536

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne voyait plus que l’écume phosphorescente des vagues qui venaient se briser en gémissant sur la plage. Mme de Marçay était assise près de Ferni ; elle avait attiré sa main sous son manteau et la pressait affectueusement sur son cœur. Il pleurait en silence, entendait à peine ce qui se disait autour de lui et évitait de répondre lorsqu’on lui parlait, de peur que l’on ne remarquât l’altération de sa voix; mais peu à peu un changement se fit dans cette âme aimante et mobile. Il oublia une dernière fois tout ce qui venait de l’agiter, et se laissant aller presque sans y penser au bonheur de se voir encore si près d’elle, de sentir battre son cœur et de la croire touchée de ses maux, il jouit d’un repos délicieux après une émotion si violente. La pluie commença bientôt à tomber ; on se leva, et ils rentrèrent sans se parler.

A peine furent-ils seuls que Ferni revint au sentiment de la réalité, et de nouveau ses yeux se remplirent de larmes; mais elle le fit asseoir doucement près d’elle et lui proposa de lire ensemble. Il était tellement habitué à lui obéir, qu’il trouva cela tout naturel. Elle lisait haut, d’une voix enfantine, s’arrêtant sans cesse pour sourire et le regarder. Il l’arrêtait plus souvent encore par ses baisers, et si souvent qu’il fallut cesser de lire. Elle paraissait n’avoir pas la force de se défendre, et se laissait aller avec langueur à ses caresses. Enfin leurs lèvres se rencontrèrent, et Ferni, qui n’a jamais menti, m’a juré qu’ils avaient mis tous deux la même ardeur dans ce dernier baiser; mais aussitôt cette étrange créature parut le haïr aussi sincèrement qu’un instant auparavant elle avait paru l’aimer. Elle s’échappa brusquement de ses mains, courut à la fenêtre, l’ouvrit et s’assit sur le bord, le regardant d’un air de colère et de défi. Eperdu de douleur, il voulut l’en arracher. Mme de Marçay trouva des mots si cruels, elle eut si bien l’art de le blesser et de le confondre, qu’il recula, se croyant le jouet d’un horrible rêve et prenant en dégoût la création tout entière. Le jour commençait à poindre lorsqu’il rentra chez lui.

En moins d’un instant, il avait pris, pour n’y plus revenir, une résolution bizarre et fatale, et ce fut avec le calme d’une âme énergique, décidée sur son sort, que le lendemain il entra chez elle. Il ne pouvait revenir de sa surprise en la regardant. Non-seulement les émotions diverses qu’elle avait paru éprouver la veille, et dont il se sentait brisé, n’avaient laissé aucune trace sur ce charmant visage, mais elle était éblouissante de fraîcheur; jamais son teint n’avait été plus transparent, jamais ses traits n’avaient été plus harmonieux ni plus calmes, et lorsqu’elle leva sur lui ses grands yeux limpides, il crut sentir vaguement qu’elle n’avait point d’âme. Cependant il devait l’aimer jusqu’au dernier soupir, et d’ailleurs il avait irrévoca-