Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/521

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Votre ami est bien extraordinaire, me dit en riant Mme de Marçay; je ne l’aurais pas cru si timide.

— Il ne l’est ordinairement pas plus qu’il ne faut; mais vos beaux yeux l’ont troublé outre mesure, et le voilà sans doute amoureux de vous, comme tant d’autres.

— J’en serais bien fâchée, dit Mme de Marçay; j’aurais eu du plaisir à le connaître, et me voilà forcée de reconduire. Avouez qu’il est dur de ne pouvoir trouver dans le monde quelques amis désintéressés. Vous êtes une rare et bien heureuse exception.

— Ce sont mes cheveux blancs qui me sauvent; mais mon ami Ferni n’est pas un amoureux ordinaire, et ce qu’il m’a semblé déjà éprouver près de vous m’inquiète. Je le connais bien mal, ou il portera dans l’amour l’ardeur et l’opiniâtreté qu’il a reçues de la nature pour un plus utile usage.

— Vous allez bien vite, cher monsieur d’Hersent! Plaideriez-vous sa cause?

— Non, certes, car je l’aime tendrement, et je vous saurai gré de lui dire non du premier coup et assez nettement pour le décourager.

— Cela est mal à vous de me parler comme à une coquette, car vous savez bien que la coquetterie me fait horreur, et que je ne trompe personne. Si M. de Ferni fait la sottise de me faire la cour, il aura ce non bien net que vous demandez si prudemment pour lui, et j’y perdrai peut-être un ami, car puisque vous l’avez jugé digne d’être le vôtre, il fût sans doute devenu le mien.

Peu de temps après, Ferni s’était déclaré, et ayant reçu la réponse la plus franche du monde et l’assurance formelle qu’il n’avait rien à espérer, il quitta Paris. — C’est pour toujours, me dit-il en m’embrassant. — Deux mois plus tard, il entrait chez moi.

— Je reviens guéri, me dit-il en riant, ou peu s’en faut. Vous avez dû me trouver bien bizarre. Je ne sais ce qui m’a rendu si maladroit auprès de votre aimable amie. Qu’il ne soit plus question de ces enfantillages; je suis redevenu moi-même. Parlons de l’Italie.

Je ne me sentis point rassuré par l’air tranquille et le ton léger de Ferni, et allant droit au fait : — Retournerez-vous chez Mme de Marçay? lui dis-je en le regardant bien en face.

— Certainement, répondit-il de l’air le plus indifférent. Il me semble difficile de n’y pas retourner. Croiriez-vous que, malgré ma sottise, elle a eu la bonté de s’apercevoir de mon absence, de la regretter et de demander à quelqu’un qui me l’a répété pourquoi j’avais si subitement quitté Paris? Je lui dois bien une visite, et je la ferai, ne fût-ce que pour effacer la triste impression que j’ai dû lui laisser.

— Ecoutez-moi, Ferni, lui dis-je aussitôt avec une émotion sincère. Je vous aime comme mon fils, et j’ai le droit de vous parler