Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/496

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un phénomène curieux dans cette série d’événemens, c’est le rôle actif et prépondérant de l’opinion, de cette opinion qu’on appelait un jour la reine du monde, et qui l’est réellement plus qu’on ne croit. Tandis que la diplomatie s’évertue à découvrir des combinaisons qui fuient toujours et à préparer un congrès dont on ne peut définir les prérogatives réelles ni la sphère d’action, dont la réunion même est peut-être désormais un problème, l’opinion exerce un visible empire. N’a-t-elle point été, nouveauté singulière, quelque peu chargée d’interpréter et de limiter les engagemens diplomatiques qui ont marqué la fin de la dernière guerre ? Ce que nous voulons dire, c’est que si l’opinion n’a pas toujours dicté tout ce qui s’est fait depuis six mois au-delà des Alpes, elle n’a point été sans influence sur l’attitude des gouvernemens et sur cette direction des politiques qui a permis à l’Italie centrale de s’organiser, de prendre position et d’attendre, si bien que la péninsule arrive au congrès, si congrès il y a, avec une situation qui peut se placer sous la sauvegarde d’un droit de souveraineté nationale et de six mois d’un ordre régulier.

À vrai dire, le point grave aujourd’hui n’est pas de savoir ce qui arrivera du duché de Modène et du grand-duché de Toscane ; la question supérieure et décisive, on le sent à l’émotion croissante qu’elle suscite, cette question est à Bologne : elle est dans ce qu’on fera d’une des plus belles provinces des états de l’église et de l’existence temporelle elle-même du saint-siège. Et ici encore, à travers les restrictions et les difficultés qu’il lui faut vaincre, l’opinion n’a-t-elle point à quelque degré sa part d’influence et d’action ? C’est l’opinion du clergé ou du moins d’une partie du clergé qui se fait jour dans les mandemens de l’épiscopat français, surtout dans les dernières lettres de M. l’évêque d’Orléans et de M. l’évêque d’Arras. M. Villemain intervient à son tour pour défendre l’intégrité des droits territoriaux du saint-siège. M. de Montalembert n’avait point attendu ce moment pour prêter au souverain pontife l’appui de sa véhémente parole. D’autres, venant d’un pôle opposé, ne cachent point l’espérance de voir le pontificat temporel disparaître dans cette crise, et dans ce combat d’opinion enfin l’Italie apparaît représentée par M. Giorgini, l’auteur d’une brochure sur le Pouvoir temporel des Papes, par M. Massimo d’Azeglio, l’auteur du livre récent de la Politique et le Droit chrétien au point de vue de la question italienne. À la veille d’un congrès possible, devant l’opinion confusément agitée, la papauté temporelle se trouve ainsi placée entre ceux qui lui veulent tout ravir, ceux qui voudraient la restaurer dans l’intégralité de ses droits politiques, et ceux qui, comme l’auteur de la brochure sur le Pape et le Congrès, proposent de lui créer une situation intermédiaire, exceptionnelle, la situation d’un pouvoir affranchi de soins temporels au milieu d’une population adonnée à la contemplation et aux arts !

Assurément on ne peut être surpris qu’un tel débat, qui touche aux plus intimes croyances, fasse vibrer les passions les plus ardentes et excite partout une sorte d’attente inquiète. Au fond cependant, quelle est la réalité des choses ? La papauté temporelle souffre évidemment aujourd’hui de bien des fautes politiques commises en son nom depuis longtemps, et le moment est sans doute venu pour elle de chercher de nouveaux gages de puissance