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qu’aucun pays étranger ne le paierait de réciprocité. Une réforme des tarifs serait une œuvre de raison, d’équité et d’égalité, dans laquelle on ménagerait des compensations naturelles aux industries dont on réduirait la protection ; l’équité et l’égalité sont bien plus difficiles à obtenir dans les dispositions restreintes d’un traité de commerce. Une réforme des tarifs serait une mesure d’intérêt public dont tous les motifs seraient exclusivement puisés dans les intérêts généraux de la nation ; un traité de commerce aurait pour le moins l’air de favoriser certains intérêts aux dépens d’un grand nombre d’autres, et ceux qui se croiraient lésés ne manqueraient pas d’y dénoncer une concession commerciale faite à l’Angleterre en vue d’un intérêt politique. Il est donc sage, croyons-nous, de rayer un traité de commerce de la liste des amorces qui doivent nous rapprocher de l’Angleterre. Encore quelques jours de patience, et nous apprendrons du parlement anglais lui-même la vérité sur la situation de l’Europe et les bases positives, s’il en existe, de la nouvelle alliance occidentale. Contentons-nous, en attendant, des évidentes raisons morales qui doivent nous assurer le concours de l’Angleterre dans le règlement des affaires italiennes. Les Anglais seraient d’humeur difficile, s’ils ne faisaient volontiers avec nous la nouvelle campagne d’Italie. Ce que nous semblons vouloir aujourd’hui et ce que nous nous apprêtons à faire est justement ce qu’ils n’ont cessé de demander depuis la paix de Villafranca. Notre excellente presse officieuse s’est assez longtemps escrimée contre leur insupportable outrecuidance ; elle leur a reproché assez violemment de vouloir confisquer les profits d’une guerre où ils n’avaient risqué ni un homme ni un shilling ; elle a assez raillé leur décadence ; elle les a assez menacés de les exclure du concert européen et des affaires du continent ! Convertie aujourd’hui par six mois de discussion et toujours satisfaite et fière, elle enregistre avec une imperturbable complaisance les bonnes nouvelles que certains journaux de Londres veulent bien lui expédier sur les progrès de l’entente cordiale et sur les projets concertés entre la France et l’Angleterre pour l’organisation de l’Italie. Si hautains que soient les Anglais, comment n’assisteraient-ils pas à un tel spectacle le rire aux lèvres et en battant des mains ?

Si dans la diplomatie française quelqu’un est à la hauteur des difficultés que l’alliance anglaise ne suffit point à extirper de la situation, c’est notre nouveau ministre des affaires étrangères. Personne ne contestera que M. Thouvenel ne doive son élévation à son seul mérite. Cette fois c’est bien le soldat qui est arrivé jeune encore, grade par grade, et par d’évidens services, au premier poste de sa carrière. Nous attendons de M. Thouvenel des vues élevées et une conduite ferme et résolue. Puisqu’on n’a point encore absolument cessé de parler de congrès, nous serions bien aises, pour l’amour de l’art, de le voir réussir dans ce tour de force, et puisque l’on parle plus que jamais d’un projet de royaume de l’Italie centrale, nous faisons des vœux pour qu’il ne soit point obligé d’user ses éminentes facultés à couvrir d’une apparence de vie des combinaisons repoussées par la nature des choses et par les esprits les plus sains et les plus vigoureux de l’Italie.

Notre crainte en effet, et nous revenons ainsi aux difficultés pratiques des questions italiennes, est que l’on n’y aggrave ces difficultés en s’efforçant