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qu’elle est aujourd’hui. Il est toujours curieux de voir comment les doctrines d’abord les plus universellement repoussées finissent par s’imposer avec une telle autorité, qu’elles sont revendiquées par ceux-là mêmes qui en avaient été les plus rudes adversaires. Dans l’ordre philosophique et moral, comme dans l’ordre physique et matériel, il est dans la nature de l’homme de chercher la vérité d’abord dans le mystère et de demander la solution des problèmes scientifiques et sociaux aux théories les plus compliquées et les plus absurdes. Il semble qu’il ait horreur du simple et du naturel : ce n’est en effet qu’après des efforts d’imagination inouïs qu’il finit par où il aurait dû commencer, par consulter sa raison. Cette longue et pénible élaboration de la science forestière a encore une autre cause. Les difficultés qu’ont rencontrées toutes les sciences avant de se constituer se compliquaient pour elle d’un obstacle nouveau, la question de temps. Bien différentes des autres cultures, les forêts demandent un temps fort long pour donner des produits utiles, et ce n’est qu’après bien des années d’application qu’on peut apprécier le mérite des différens modes de traitement. Réaumur et Buffon avaient souvent exprimé le regret que l’absence de faits constatés avant eux ne leur permît pas d’étudier et d’approfondir davantage les phénomènes de la végétation forestière, et ils avaient vivement insisté sur la nécessité de laisser à leurs descendant un certain nombre de documens précis, qui pourraient servir de base à de nouvelles observations et devenir les élémens d’une science positive. C’est pour cette raison que ces esprits investigateurs entreprirent leurs belles expériences, dont quelques-unes ont duré de vingt-cinq à trente ans, sur la croissance des arbres, l’écorcement préalable, la résistance des bois, la faculté germinative des différens terrains, etc. De son côté, Duhamel avait mis à l’essai différens systèmes d’exploitation, et s’était occupé des moyens de produire des bois en vue d’un usage déterminé : il pensait qu’on pouvait assurer à jamais les approvisionnemens de la marine en donnant artificiellement aux arbres, au lieu de les laisser croître au hasard, les courbes recherchées dans les constructions navales. Malheureusement les expériences de Duhamel n’ont pas été continuées ; elles étaient de trop longue haleine pour des particuliers, et l’état, qui seul eût été à même de les suivre et de les entreprendre sur une assez grande échelle, a toujours été, à l’endroit de ses forêts, trop exclusivement absorbé par des préoccupations financières. Loin de les considérer comme des propriétés d’une nature spéciale, dont il n’est le détenteur que pour en retirer les produits les plus utiles et les plus considérables, il n’a jamais vu en elles qu’une source de revenus pécuniaires qu’il cherchait à augmenter, tout en restreignant le plus