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inutile. Néanmoins, à l’époque où il fut mis en vigueur, ce système, tout vicieux qu’il était, valait mieux encore que l’arbitraire qui avait régné jusque-là, car il introduisit une certaine régularité là où il n’y avait que désordre et incurie.

Où en était pendant ce temps la sylviculture en Allemagne ? D’après M. le docteur Pfeil, conseiller supérieur des forêts en Prusse, un des premiers ouvrages forestiers qui aient été publiés est dû à un certain docteur Agricola, médecin à Ratisbonne ; le titre en est au moins curieux : Essai nouveau et inouï, mais fondé sur la nature et la raison, d’une multiplication universelle de tous les arbres, arbustes, fleurs et plantes, expérimenté pour la première fois en théorie et en pratique, et orné de plusieurs gravures rares, 1716. Dans cet ouvrage, écrit à une époque où l’alchimie était en honneur, et où les esprits les plus sérieux étaient convaincus de la possibilité de transformer la nature des choses, le docteur Agricola cherche à prouver comment on peut hâter la croissance des bois par des moyens artificiels ; son livre est un mélange de connaissances physiologiques assez rares pour le temps et de superstitions absurdes. À côté de fort bonnes choses sur la greffe, on trouve un moyen théologique de faire renaître de ses cendres le bois consumé par le feu et d’obtenir par un mélange de cendres de diverses espèces de bois les hybrides les plus extraordinaires[1]. À l’ouvrage d’Agricola succéda, en 1732, le Traité de la Culture des arbres sauvages, par Carlowitz, augmenté et commenté par Bernard de Rohr ; il ne le cède en rien au premier par la singularité des doctrines qu’il renferme. L’auteur y fait mention, entre autres, d’une espèce d’arbre qui a de la pudeur, et il combat le système de Linné comme contraire à la décence.

Cette disposition à tout rapporter à des causes supérieures et extraordinaires était alors générale, et l’Allemagne, on le voit, n’avait sur ce point rien à envier à la France ; mais le mouvement philosophique qui commençait alors à se manifester ne tarda pas à porter ses fruits : la méthode baconienne introduite dans la science faisait abandonner les théories toutes faites, les doctrines empiriques, et l’on demandait à l’observation des faits la vraie raison des choses. Les forêts furent les premières à profiter de ce retour au bon sens, parce qu’elles avaient été un des sujets sur lesquels l’imagination publique s’était livrée aux excentricités les plus grotesques. C’est à Réaumur, Buffon et Duhamel que nous devons les premiers travaux réellement sérieux sur les forêts, et c’est dans leurs ouvrages qu’on trouve pour la première fois exposée clairement la théorie des éclaircies successives.

  1. De la Science forestière en Allemagne au dix-huitième siècle, par M. Maurice Bloch ; Annales forestières, juin 1850.