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le gisclement, qui indique à volonté le moment des récates, l’heure du départ ou du retour, le passage d’un garde ou l’approche d’un orage, quand il n’est pas un signal de ralliement pour la tribu tout entière. La voix de la paysanne vibrait encore dans l’air, qu’un cri pareil au sien, mais plus accentué, lui répondit.

— Ce n’est pas Brunélou, dit la jeune fille, il giscle mieux que cela ; mais certainement c’est un de ses camarades, sans doute un soldat garrigaire, et je vais enfin avoir des nouvelles de mon fiancé. Pécaire ! si j’allais apprendre un malheur !

Elle allait courir dans la direction de la voix qui venait de lui répondre ; mais elle se rappela que le nanet était là. Pouvait-elle le quitter sans un adieu, et pouvait-elle souffrir qu’il restât plus longtemps loin de la Cabride, maintenant qu’elle était sûre de retrouver des amis, des enfans de la garrigue ? Le nanet comprit le regard de la jeune fille et son serrement de main. Il contempla quelque temps avec des yeux humides celle qui avait eu des paroles de consolation pour sa misère ; puis il descendit brusquement le monticule, et la jeune fille put le voir presque aussitôt, comme un gigantesque grillon, sautiller sur la route de Gênes. La Frigoulette se mit alors à franchir les dernières roches qui la séparaient d’un plateau d’où la vue devait s’étendre au loin. À peine arrivée au sommet, elle embrassa d’un coup d’œil toutes les tentes du régiment étalées dans la plaine. De loin en loin, des feux, s’échappant de quelques pierres entassées, indiquaient les cuisines, tandis que çà et là des chevaux, broutant un rare gazon, signalaient les tentes des officiers supérieurs. Des faisceaux de fusils brillaient au soleil, des soldats dormaient sous les arbres, et les cantinières mettaient en ordre les fourgons. Au premier plan, quelques fantassins formaient un groupe animé qui se détachait vigoureusement. Trapus, mais agiles, les épaules carrées, le teint bruni et l’œil vif, ils avaient un type et une allure spéciale dont le cachet original les faisait distinguer entre tous : c’étaient les enfans de la Gardiole. Unis par cette fraternité qui commence au berceau, ils étaient aussi inséparables à l’armée qu’au village. Ils parlaient tour à tour ensemble du pays et des promises, de leurs chefs et du foyer. L’un, le tambourin de la paroisse, était devenu tambour du régiment. De son côté, le hautbois se trouvait enrôlé dans la musique militaire. Comme les frères siamois, ces deux anciens acolytes ne se séparaient jamais. Bien souvent ils régalaient leurs camarades d’un air de farandole qui les faisait à la fois sourire et pleurer. La cuisine en plein vent des soldats garrigaires, artistement élevée sur quelques pierres, rappelait, au milieu du camp, les constructions improvisées du distillateur ambulant des garrigues, tandis que les fortes senteurs d’ail et de plantes aromatiques