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à revenir en France, d’autres campaient encore en Italie ; ceux-ci partaient par Turin, ceux-là s’embarquaient à Gênes. Le nanet ne put se résoudre à se séparer de la Frigoulette quand il la vit dans une telle perplexité.

— Comme je vous ai conduit sur la mer, je vous guiderai sur la terre, lui dit-il, car je ne saurais oublier combien vous avez été bonne pour moi. J’ai appris qu’un régiment d’infanterie doit partir pour Toulon un de ces jours. Il campe en attendant près de Sparvara. C’est le village où je suis né. Peut-être pourra-t-on là vous donner quelques indices sur Brunel. Je me rappelle ce pays, et je trouverai mon chemin. Toute garrigaire est bonne marcheuse. En route donc ! Et si vous avez appris sur la mer que le pauvre idiot n’est pas muet, vous verrez, j’espère, que sur la terre il sait courir aussi, malgré sa difformité.

Reconnaissant en effet, avec la mémoire de l’enfance, les moindres ravins, le gitano épargna à la paysanne bien des pas inutiles. Laissant de côté les chemins battus, il allait en avant, escaladant les roches, passant au travers des broussailles et sautant par-dessus les haies. Avec ses jambes grêles, ses genoux cagneux et ses membres enchevêtrés les uns dans les autres, il ne marchait pas, il se mouvait à la façon de ces insectes vulgairement nommés prie-Dieu, qui, sans voler, sans ramper et sans sauter, se transportent en un clin d’œil, au moyen de leurs longues et minces pattes, à une grande distance. La Frigoulette le regardait avec surprise. Malgré son pas égal et ferme, la fille des garrigues avait bien de la peine à suivre le pauvre estropié. Après quelques heures de marche, les voyageurs arrivèrent devant quelques collines rocailleuses. — Sparvara est derrière ce monticule, dit le nanet avec un soupir.

La jeune fille croyait se retrouver dans les garrigues du midi de la France. C’était le même ciel bleu et limpide, le même air vif et salubre, les mêmes fleurettes un peu brûlées, les mêmes parfums toniques. La garrigaire ne put résister au désir de se reposer un peu au milieu de ce joyeux tableau qui lui rappelait son pays. Elle s’assit donc à l’abri d’un rocher, et ferma les yeux comme pour mieux respirer les balsamiques senteurs. L’image de la maisonnette de Gigean et du bonheur rêvé vint mystérieusement s’emparer de son esprit. Recueillie dans une douce mélancolie, elle se laissait aller à une rêverie charmante. Tout à coup elle tressaillit et regarda autour d’elle avec étonnement : un refrain des garrigues, accompagné des sons aigres du hautbois, venait de retentir. Ce refrain était celui d’une farandole bien connue des paysans de la Gardiole. Émue et surprise, elle se redressa, monta sur une roche, et poussa un cri strident qui résonna dans l’espace, — le cri familier des garrigaires,