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mer en disant ce qu’il n’est pas. On ne saurait accorder que pour la satisfaction de quelques esprits timides le philosophe soit obligé de se gêner en son langage, et de se retrancher un trait fort ou expressif. « Jadis, dit très bien M. Vacherot, l’athéisme était la calomnie de tous les docteurs en théologie contre les philosophes qui n’acceptaient pas sans réserve le Dieu de leurs églises. Aujourd’hui que la philosophie a rompu avec toutes les traditions de l’empirisme du dernier siècle, les théologiens ont substitué à l’accusation d’athéisme celle de panthéisme. Le mot spirituel de M. Cousin sur ce petit spectre évoqué à l’usage des sacristies est d’une parfaite justesse. Le jeu est habile en ce que la calomnie gagne en vraisemblance sans rien perdre de sa gravité. Le panthéisme tel qu’ils le présentent, moins absurde peut-être, est encore plus immoral et plus dangereux que l’athéisme. Le premier supprime Dieu, dont les attributs métaphysiques sont indifférens à la morale ; le second supprime la liberté et le devoir, c’est-à-dire tout ce qui fait la valeur de la vie humaine.

Cette injuste accusation mise à part, peut-on dire que la théodicée de M. Vacherot soit de nature à satisfaire toutes les exigences de l’âme, et qu’un idéal de perfection qui a pour lui la vérité, mais non la réalité, comme les figures abstraites des géomètres, soit vraiment ce qu’adore l’humanité ? Un fait immense donne au premier coup d’œil raison à M. Vacherot. La théodicée n’a aucun fondement expérimental. L’existence et la nature d’un être ne se prouvent que par ses actes particuliers, individuels, volontaires, et, si la Divinité avait voulu être perçue par le sens scientifique, nous découvririons dans le gouvernement général du monde des actes portant le cachet de ce qui est libre et voulu ; la météorologie devrait être sans cesse dérangée par l’effet des prières des hommes, l’astronomie parfois en défaut. Or aucun cas d’une telle dérogation n’a été scientifiquement constaté ; aucun miracle ne s’est produit devant un corps savant ; tous ceux que l’on raconte ou bien sont le fruit de l’imagination et de la légende, ou bien se sont passés devant des témoins qui n’avaient pas les moyens nécessaires pour se garantir des illusions et juger du caractère miraculeux d’un fait. C’est ce que Malebranche a parfaitement résumé dans ce mot : Dieu n’agit pas par des volontés particulières. Loin de révéler Dieu, la nature est immorale ; le bien et le mal lui sont indifférens. Jamais avalanche ne s’est arrêtée pour ne pas écraser un honnête homme ; le soleil n’a pâli devant aucun crime ; la terre boit le sang du juste comme le sang du pécheur. L’histoire de même est un scandale permanent au point de vue de la morale. L’histoire, comme la nature, révèle des lois ; mais, pas plus que la nature, elle ne révèle un plan