Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute combinaison étendue les alarme et leur semble de peu de valeur. Certes, s’ils se bornaient à faire la guerre aux généralités hasardées, aux aperçus superficiels, on ne pourrait qu’applaudir à leur sévérité. Je conçois à merveille qu’une date heureusement rétablie, une circonstance d’un fait important retrouvée, une histoire obscure éclaircie, aient plus de valeur que des volumes entiers dans le genre de ceux qui s’intitulent souvent philosophie de l’histoire ; mais ce n’est point par elles-mêmes que de telles découvertes valent quelque chose. C’est dans la philosophie qu’il faut chercher la véritable valeur de la philologie. Là est la dignité de toute recherche particulière et des derniers détails d’érudition, qui n’ont point de sens pour les esprits superficiels et légers. Il n’y a pas de recherche inutile ou frivole ; il n’est pas d’étude, quelque mince qu’en paraisse l’objet, qui n’apporte son trait de lumière à la science du tout, à la vraie philosophie des réalités. Les résultats généraux qui ne s’appuient pas sur la connaissance des détails sont nécessairement creux et factices, tandis que les recherches particulières, même dénuées de l’esprit philosophique, peuvent être du plus grand prix, quand elles sont exactes et conduites suivant une sévère méthode. L’esprit de la science est cette communauté intellectuelle qui rattache l’un à l’autre l’érudit et le penseur, fait à chacun d’eux sa gloire méritée, et confond dans une même fin leurs rôles divers. Des monographies sur tous les points de la science, telle devrait donc être l’œuvre du XIXe siècle, œuvre pénible, humble, laborieuse, exigeant le dévouement le plus désintéressé, mais solide, durable, et d’ailleurs immensément relevée par la grandeur du but final. Certes il serait plus doux et plus flatteur pour la vanité de cueillir de prime abord le fruit, qui ne sera mûr peut-être que pour un avenir lointain. Il faut une vertu scientifique bien profonde pour s’arrêter sur cette pente et s’interdire la précipitation, quand la nature humaine tout entière réclame la solution définitive. Les héros de la science sont ceux qui, capables des vues les plus élevées, ont pu se défendre toute généralité anticipée, et se résigner par vertu scientifique à n’être que d’humbles travailleurs. Pour plusieurs, c’est là un léger sacrifice. Les vrais méritans sont ceux qui, tout en comprenant d’une manière élevée le but suprême, se dévouent au rude métier de manœuvres, et se condamnent à ne voir que le sillon qu’ils creusent. En apparence, ces patiens investigateurs perdent leur temps et leur peine. Il n’y a pas pour eux de public ; ils sont lus de trois ou quatre personnes, quelquefois de celui-là seul qui reprendra le même travail. Eh bien ! les monographies sont encore ce qui reste le plus. Un livre de généralités est nécessairement dépassé au bout de dix années ; une monographie, étant un fait dans la science, une