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exceptionnelle dans un temps où les anciens officiers de l’empire n’avaient pas encore cessé d’être considérés comme suspects. Mes nouveaux collègues étaient tous en effet de vieux officiers rentrés en 1814 dans le corps. La restauration acquittait envers eux une dette d’honneur et de reconnaissance. Sans doute elle eût pu remplir les cadres de la marine de serviteurs plus valides, mais non plus dévoués, ou plus honorables. Les gouvernemens, il faudrait le comprendre, ont souvent des devoirs qu’ils ne sauraient méconnaître sans forfaire à leur principe. Malheureusement, lorsque ce principe même est impopulaire, comment se flatter que les conséquences en seront acceptées sans murmure ? Les jeunes officiers, qui voyaient tout espoir d’avancement anéanti par ces récompenses, ne pouvaient que les trouver injustes et ridicules. Les brillans compagnons de d’Estaing et de Suffren, courbés en 1816 sous le poids des ans, éloignés pendant un long exil de la mer, ne pouvaient plus trouver une place convenable dans la marine nouvelle. Ils ne firent, à vrai dire, que la traverser. Le 12 septembre 1817, M. le comte Molé fut nommé ministre de la marine, et le 22 octobre de la même année, sept cents officiers, dont douze officiers-généraux et quatre-vingt-seize capitaines de vaisseau, furent admis à la retraite. Dans cette cruelle et nécessaire réforme, la plupart des officiers qu’une injuste antipathie s’était empressée de désigner sous le nom de rentrans avaient disparu ; mais les coups n’avaient point porté que sur eux. Pour les frapper, il avait fallu faire de nombreux sacrifices à l’opinion qui les défendait. Des listes d’épuration furent dressées, et la proscription atteignit sans ménagement tous ceux dont on soupçonnait les principes. Ce travail, fait avec plus de passion que de discernement, enleva à la marine un grand nombre de jeunes officiers sur lesquels le corps fondait de légitimes espérances ; d’autres, d’un mérite déjà éprouvé, avaient été écartés également. Par un heureux retour, on ne tarda pas à les rappeler au service. Il n’en résulta pas moins de tous ces malheurs individuels une situation meilleure pour ceux que la terrible ordonnance avait épargnés. L’avenir commença à se dégager des nuages qui l’avaient jusqu’alors obscurci. La marine de la restauration s’éleva sur les ruines de la vieille marine de Louis XVI et sur celles de la marine de l’empire. Elle date en réalité du ministère de M. le baron Portal, qui succéda à M. le comte Molé le 29 décembre 1818. M. Portal a eu le privilège de laisser dans notre corps un souvenir vraiment sympathique. On lui sut gré du noble langage qu’il employa pour défendre notre établissement naval, menacé par le découragement public. On applaudit à la netteté avec laquelle il posa devant le roi et devant le pays cette grave question de la conservation ou de l’abandon de