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notre pavillon devant cette dernière île, car je prévoyais l’émotion qu’y causerait la vue de nos bâtimens. Le 1er avril 1815, nous mouillâmes vers neuf heures du soir à l’entrée du Port-Louis. Le lendemain, dans la matinée, je me rendis chez le gouverneur. Malgré des formes polies, l’accueil que me fit ce haut fonctionnaire me parut empreint d’une extrême froideur ; je crus pouvoir me dispenser de répondre aux invitations qui me furent adressées, en prétextant la nécessité de veiller par moi-même aux préparatifs du départ. Il convenait en effet de ne pas prolonger le séjour de la division au Port-Louis : notre présence y avait produit une grande fermentation. Décidés à s’insurger, les habitans se croyaient assez forts pour exécuter à eux seuls leur projet ; ils ne demandaient que mon approbation. En la donnant, je n’aurais préparé à nos malheureux compatriotes qu’un avenir plus lamentable encore, et j’aurais commis un acte indigne d’un galant homme. J’éprouvais donc une extrême impatience d’échapper à ces dangereuses sollicitations. Un commissaire anglais devait nous accompagner à Bourbon. Je le pressai vivement de nous épargner tout délai inutile. A la nuit tombante, le délégué de sa majesté britannique était à bord de la Psyché, et je me hâtais de quitter des parages où le pavillon français ne s’est jamais montré sans y réveiller le souvenir de temps plus heureux et la haine de la domination étrangère.

Poussés par un vent frais, nous arrivâmes le surlendemain en vue de l’île Bourbon. La rade de Saint-Denis, sur laquelle nous laissâmes tomber l’ancre, me sembla fort peu sûre ; mais jamais, dans les archipels mêmes de la Malaisie, mes regards n’avaient rencontré de spectacle plus enchanteur. Pour la beauté pittoresque des sites, l’île Bourbon n’a rien à envier aux Moluques. Un volcan dont les éruptions sont fréquentes domine, de son front sillonné de larges coulées de lave, les hautes montagnes de l’intérieur. De riantes collines couvertes d’une perpétuelle verdure s’échelonnent du pied des montagnes à la mer. Cette végétation vigoureuse indique un sol propre à toutes les espèces de culture, et en effet la fertilité de Bourbon ne connaît pas d’égale. Le climat y est exempt de ces terribles épidémies qui désolent les Antilles. Les ouragans sont le seul fléau qu’on y redoute. Le peu d’ambition des habitans, la simplicité de leurs mœurs, la fécondité du sol, la douceur de la température, font de cette île lointaine un véritable paradis terrestre où l’existence se prolonge souvent bien au-delà du terme ordinaire.

Il ne manque à Bourbon qu’un port. Des tentatives ont été faites pour en créer sur divers points de la côte, mais toujours sans succès. .Malgré ses côtes abruptes et ses rivages en quelque sorte inaccessibles, cette île n’en est pas moins, par sa situation géographique