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missans sont pleins d’écume. Vous voilà bien loin du monde et des hommes, et Mazeppa lui-même ne respirait pas un air plus libre. Mais regardez ce fil ténu qui oscille à l’horizon : c’est le télégraphe électrique ; c’est la civilisation, qui, sur les ailes de la Science, vous suit, vous rejoint et vous devance. Prenez garde, vous passerez trop près de ces huttes informes d’où une petite fumée s’élève au travers des branches de feuillage flétri ou d’une tenture de poil de chameau. C’est l’équipage d’une tribu en campagne, et au pas de vos chevaux, les femmes épouvantées s’enfuient, et les dogues s’élancent en rugissant. Inclinez plutôt de l’autre côté de la plaine, là où vous entendez retentir des chants joyeux. Non, vous ne vous trompez pas, ce sont bien des airs d’opéra-comique. Vous avez rencontré le bivouac d’un bataillon de chasseurs à pied qui change de garnison. Ils sont arrivés il y a une heure à peine, tout couverts de sueur et de poussière ; leurs armes sont déjà reluisantes de propreté, et leurs visages tout éclairés d’un joie cordiale. Braves enfans ! leur mâle Jeunesse est pleine de bonhomie et de force : ils répondent en souriant au salut qu’on leur adresse. Hélas ! le dernier courrier de France apportait des bruits de guerre. Dans un an, combien de ces rires si francs auront cessé de se faire entendre ! combien de ces nobles cœurs auront cessé de battre !

Le contraste ne naît pas seulement à chacun de vos pas du rapprochement des mœurs diverses, il a pénétré dans l’intérieur même des caractères. Il y a maintenant dans l’esprit de tout habitant de l’Algérie, Français ou Arabe, un mélange singulier et fait à doses diverses de deux civilisations différentes. Aussi tout homme en Algérie, le premier venu qu’on rencontre, vaut la peine qu’on cause Avec lui : il a toujours ou senti ou pensé quelque chose d’une manière originale. Il ne faut donc négliger de converser ni avec votre postillon, qui est un ancien zouave et vous racontera les exploits du général Lamoricière, ni avec votre voisin de table d’hôte, qui est un fouriériste cherchant quelque part la terre promise de l’association, ni avec votre compagne de route, qui est une pauvre mère partie d’un petit village de France pour aller faire une prière sur le champ de bataille où son fils est mort. La conversation des chefs militaires français de tous les grades est surtout, pour ceux qui ont l’avantage de les approcher, pleine d’intérêt par la variété de leurs connaissances, par la singularité de leurs aventures et quelquefois aussi des habitudes qu’elles ont fait naître. On rencontre parmi eux de ces types qu’affectionnait le grand romancier du Nouveau-Monde : ce sont des enfans de l’Europe adoptés par le désert, quelque chose comme OEil-de-Faucon sous l’uniforme. Un d’entre eux, enfant de la colonie, il est vrai, et un de ses premiers-nés, convenait avec moi qu’à force d’avoir habitué ses regards aux longs horizons du Sahara