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en Algérie, parce que les Arabes sont la raison d’être des bureaux arabes.

Voilà ce qu’on dit, voilà ce qu’on imprime publiquement à Alger dans les ouvrages graves et dans des feuilles acerbes. À force d’être dit, cela finit par être cru. Un peu de mémoire pourtant, à défaut d’un peu de réflexion, suffirait pour démontrer que rien ne peut être moins fondé. On peut penser tout ce qu’on veut des règlemens de la colonisation officielle, et l’on vient de voir suffisamment que je n’en pense aucun bien, il est loisible même de leur imputer tout le malaise de la colonie, bien qu’à mes yeux ce soit faire la part des hommes trop grande et celle de la nature trop petite ; mais il n’y a qu’une seule chose qu’on ne puisse pas faire, sans être rudement démenti par les faits : c’est d’imputer l’invention de ces règlemens à l’autorité militaire. Tout le monde, comme je l’ai dit, civils et militaires, sous le frac comme sous l’uniforme, tout ce qui s’est mêlé de penser, d’agir ou d’écrire au sujet de l’Algérie pendant les premiers temps de la colonisation, chambres, publicistes, a contribué pour sa part à élever cet édifice artificiel. Le système des concessions en particulier n’est de l’invention de personne ; il est de tradition dans les colonies françaises, auxquelles, à la vérité, il n’a pas porté bonheur. Le Canada et la Guyane (triste souvenir et triste spectacle) n’ont jamais vécu à d’autres conditions, quoiqu’ils n’aient jamais eu d’armée à nourrir, ni de pouvoir militaire à défendre. Il n’y a que bien peu d’années que l’Amérique et l’Angleterre y ont solennellement renoncé. C’est un reste de tout le vieux système protectioniste et prohibitif, dont les débris embarrassent encore l’avenir industriel du monde. Quant à l’interdiction d’acquérir en territoire de tribu, ce sont bien en effet les gouverneurs militaires qui en ont pris l’initiative ; mais, à peine mise au jour, cette mesure a été consacrée par les plus grandes autorités civiles qu’il y ait au monde. La chambre des députés en 1847 et l’assemblée législative en 1850 l’ont adoptée. Et par quels organes pensez-vous que ces deux assemblées se soient prononcées dans ce sens ? Peut-être par quelques-uns des généraux africains, si puissans alors et si brillans dans nos assemblées ? Nullement : en 1847, ce fut l’illustre et regrettable M. de Tocqueville, peu partisan à coup sûr du régime du sabre et moins encore des règlemens administratifs, ce fut lui, revenant d’une mission, parlementaire, accomplie au grand péril de sa santé déjà chancelante, dans l’unique pensée d’aller contrôler les abus du pouvoir militaire ; ce fut lui, disons-nous, qui conclut, dans des termes qu’on peut lire encore au Moniteur, à la nécessité absolue d’appuyer toute propriété en Algérie sur un titre originairement donné par l’état. En 1851, l’Algérie avait ce qu’elle réclame vainement encore au-