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du billard et du cabaret ; vainement créera-t-elle à grands frais tout un personnel d’inspecteurs et de médecins de colonisation : elle n’empêchera pas que le métier de pionnier d’une société naissante ne soit laborieux, et qu’il n’y faille à tout instant payer de sa personne. Elle ne taillera pas de lisières assez longues pour soutenir sur un territoire dépeuplé de grands enfans qui ne savent pas marcher seuls. Ce sont des malheureux destinés à souffrir, et par conséquent des mécontens très prompts à se plaindre. Quant aux colons pauvres, qu’attire uniquement la perspective d’une concession de terres soi-disant gratuites, ce sont avant tout ceux-là qu’il faut bannir, quand ce ne serait que pour proclamer bien haut cet axiome d’économie politique que toute notre population rurale méconnaît encore, à savoir : que la terre est une ruine et non une fortune entre les mains de celui qui n’a pas d’argent pour l’exploiter, et qu’il n’a rien de plus pressé que de s’en défaire. Quand cette vérité sera mieux connue non-seulement en Algérie, mais en France, notre richesse agricole sera rapidement décuplée, et les adversaires du code civil auront perdu leur plus grand argument.

Au demeurant, l’épreuve est faite et parfaite : le système de l’installation officielle des colons a décidément et solennellement échoué. C’est échouer en effet que d’aboutir au résultat suivant, constaté par le gouvernement lui-même dans ses statistiques : en vingt années, 194,000 hectares seulement concédés, c’est-à-dire une étendue que couvriraient aisément cinquante grands propriétaires de France ; sur ces 194,000 hectares, 31,000 seulement assurés en propriétés définitives à leurs concessionnaires, 31,000 seulement par conséquent sur lesquels les concessionnaires aient accompli les travaux que l’état leur imposait. Sur tout le reste, les travaux se sont trouvés impossibles à faire et les colons incapables de s’en acquitter. L’état alors, ne voulant ni se départir de son droit, ni expulser des malheureux qu’il avait fait venir, a pris le parti de prolonger indéfiniment le délai ; mesure charitable assurément, mais qui a pour effet de maintenir toute la nouvelle propriété d’Algérie dans une situation précaire et provisoire, et de bannir par là toute confiance et tout progrès. Ce système n’a donc pas produit le seul résultat qu’on pût s’en promettre, celui de faire cultiver sérieusement la terre. Il y avait déjà chez les Arabes une propriété collective ; on a créé chez les Européens une propriété conditionnelle : je doute que l’échange ait valu ce qu’il a coûté.

Ce système stérile de protection excessive, d’où résulte une responsabilité écrasante, est à nos yeux le principal, sinon l’unique tort de l’ancienne administration, et c’est, comme je l’ai dit, un tort qu’elle s’est fait à elle-même encore plus qu’au public. Mon