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Allez proposer à cet homme-là de venir s’établir dans une contrée à la condition de n’y posséder qu’après avoir demandé la permission à M. le préfet et sauf à rendre compte de sa propriété à M. l’inspecteur : il n’est point de mers à traverser et point de sauvages à affronter qu’il ne préfère à un tel régime. Quant au capital, c’est bien autre chose ; il est, comme l’a dit excellemment M. le colonel Ribourt lui-même, « une force capricieuse et indomptée que personne ne gouverne, et qui ne s’établit que dans les lieux où toutes choses lui plaisent. » Tous tant que nous sommes qui ne vivons pas exclusivement de notre travail, nous sommes plus ou moins des capitalistes. Interrogeons-nous nous-mêmes : qui est-ce qui voudrait dépenser une partie sérieuse de sa fortune sur une terre qu’il n’aurait pas choisie, dont il pourrait être privé au gré du gouvernement, et la dépenser en travaux dont l’ordonnance et la distribution ne lui appartiendraient pas ? Je ne dis pas que ces règlemens soient l’unique cause qui empêche le capital de se rendre en Algérie ; il est fort occupé, je le sais, en ce moment ; il a beaucoup d’affaires, de bonnes affaires, en Europe, et pas beaucoup le temps de penser à l’Afrique. Il n’est pas sûr qu’il affluerait en Afrique, si ces règlemens n’existaient pas ; mais ce qui est certain, c’est qu’il n’y viendra pas tant qu’ils existeront. M. le colonel Ribourt constate cette absence de l’esprit d’entreprise chez les Français et la répugnance des capitaux pour l’Algérie, et il en conclut que, puisqu’on ne pouvait avoir des colons entreprenans et riches, il a bien fallu, à tout prix, faute de mieux, en installer, à grand renfort de protections officielles, de timides et de pauvres. Ma conclusion serait directement inverse. S’il n’y a d’autres colons possibles à chercher en France que ceux qui veulent trouver en arrivant leur lit pour ainsi dire tout fait, il n’y a, à mon sens, qu’une seule réponse à faire à ces messieurs si bien appris, c’est de les prier de rester chez eux ; C’est là qu’ils trouveront des routes toutes dressées, avec des agens des ponts et chaussées pour en mesurer les pentes, et des cantonniers pour en casser les cailloux, des agens des eaux et forêts pour leur apprendre à aménager leurs arbres, les obliger à les tailler et leur défendre de les couper, des marchés pour vendre leurs blés et des maires pour leur en fixer la mercuriale, — la besogne de vivre en un mot toute taillée, et au besoin un journal ou un sous-préfet pour leur faire une opinion politique. L’administration aura beau faire, elle aura beau multiplier les précautions et les dépenses ; elle ne leur procurera pas toutes ces douceurs en terre d’Afrique. Vainement aura-t-elle soin de les parquer dans des villages tirés au cordeau, le long des grandes routes, afin de leur procurer avec toutes les sécurités toutes les jouissances de la vie commune, y compris celles