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rêt des services publics ou de la colonisation, et de les rendre en tout ou en partie susceptibles de libre transmission. »

Or comme en Algérie, à l’exception d’une bande étroite de littoral et d’une petite banlieue autour des villes principales, tout le territoire appartient plus ou moins à une tribu, cette disposition équivaut à l’interdiction à tout étranger de s’établir dans l’intérieur du pays, autrement qu’en s’adressant à l’état pour obtenir de lui un lot de terre.

Maintenant, jusqu’en 1856, c’est M. le colonel Ribourt qui nous l’apprend, l’état a eu pour principe à peu près absolu de ne jamais vendre son terrain. La première et, je crois, la seule exception considérable à cette règle a été faite, il y a deux ans, pour trois ou quatre milliers d’hectares dans la province d’Oran. Hors de là, l’état ne vend point son terrain, il le donne. Il en donne telle partie qu’il lui convient à telle personne qu’il lui plaît de choisir, la personne et la partie désignée n’ayant jamais eu, du reste, de rapport l’une avec l’autre, ni témoigné aucun désir de s’appartenir l’une à l’autre. C’est le système des concessions, dans lequel il est bien entendu que l’état choisit son concessionnaire, et que le concessionnaire ne choisit pas sa concession. De plus, l’état ne donne son terrain ni sans charges, ni à titre définitif : il le cède à la condition que celui qui s’y établit pour le mettre en valeur fera un certain nombre de travaux qui lui sont spécialement désignés, dans un délai marqué d’avance, sous peine de se voir retirer la concession par déchéance. De là suit évidemment cette conséquence, que, de 1840 à 1857, pas un colon nouveau ne s’est établi en Algérie qu’avec la permission de l’état, et sous son bon plaisir, dans le lieu que l’état avait choisi pour lui, et pour s’y livrer aux travaux que l’état lui a prescrits. Un colon qui met le pied en Algérie ressemble donc plus à un fonctionnaire du gouvernement qu’à un paysan de nos campagnes, ou, si l’on veut une comparaison plus exacte, un colon en Algérie est vis-à-vis de l’état dans la situation d’un débitant de bureau de tabac. Il ne manque qu’une seule chose à l’assimilation, il est vrai, c’est la plus consolante : c’est la vente privilégiée des produits. Encore a-t-on vu qu’en certains cas ce dernier point lui-même était venu compléter la ressemblance.

Je sais parfaitement par quels motifs généreux l’état s’est trouvé conduit à établir ainsi en Algérie, avec le mécanisme de ces deux dispositions combinées, une sorte de pompe aspirante et foulante qui ramène tout à lui. Je sais bien que ce sont des embarras qu’on a voulu éviter aux colons, et non des droits qu’on a voulu leur ravir, que ce sont des ennuis et des périls présens et pressans, et non des profits en lointaine expectative, dont l’état s’est ainsi réservé le monopole.