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colons, et des colons mal pourvus des conditions requises ; elle s’est chargée elle-même d’appeler, de choisir et d’installer des colons, en rassurant toutes leurs craintes et en dirigeant toutes leurs démarches. Elle savait qu’il était difficile de mettre en culture les terres d’Afrique, et plus difficile encore de s’en mettre en possession, que la tentative d’enlever le terrain aux Arabes était semée de périls et d’embûches, exposait à beaucoup de coups de fusil d’abord, et ensuite à beaucoup de procès ; elle s’est chargée de fournir elle-même à la colonisation, à l’abri de toute revendication possible, soit violente, soit litigieuse, tout le territoire qui lui serait nécessaire. Et non-seulement elle s’est chargée de tout cela, mais elle a voulu en être chargée seule, et à l’exclusion de tout autre ; non-seulement elle n’a fait aucun appel en ce genre au concours de l’initiative individuelle, mais elle a interdit à tout le monde de se mêler en aucune manière de la colonisation autrement qu’avec son autorisation, à des conditions marquées par elle, et pour ainsi dire avec son estampille. Elle a voulu avoir en un mot la colonisation tout entière, hommes et terres, en monopole et à l’entreprise : d’où il suit qu’ayant ainsi tout pris à son compte, elle n’a pas absolument le droit de se plaindre, si aujourd’hui on lui demande compte de tout.

Raconter la série de mesures par lesquelles l’état a ainsi entrepris en Algérie de se réserver successivement à lui-même la solution de toutes les difficultés de la colonisation, en se faisant fort de les trancher, ce ne serait rien moins que tenter l’histoire administrative tout entière de la colonie, car cet esprit a vraiment tout inspiré. Tous les gouverneurs-généraux successifs s’en sont pénétrés, toutes les administrations civile et militaire y ont participé, les particuliers eux-mêmes l’ont invoqué et y ont applaudi, et le pouvoir législatif de la métropole s’y est plus d’une fois associé : personne en ce genre n’a de reproche à faire à personne ; mais deux dispositions en particulier ont été comme la clé de voûte de tout le système, et, se soutenant et se complétant l’une l’autre, ont enfermé la colonisation dans un cercle officiel, sans lui laisser aucune issue pour s’échapper, s’il lui en prenait fantaisie, de la main du pouvoir.

La première de ces dispositions n’est autre que l’article là de la loi votée par l’assemblée législative en 1851, et qui est la charte de la propriété en Algérie. Cet article est ainsi conçu :

« Chacun a le droit de jouir et de disposer de sa propriété de la manière la plus absolue, en se conformant à la loi,

« Néanmoins aucun droit de propriété et de jouissance portant sur le sol du territoire d’une tribu ne pourra être aliéné au profit de personnes étrangères à la tribu.

« À l’état seul est réservée la faculté d’acquérir ces droits dans l’inté