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lieu de leur destination une église toute bâtie, un juge de paix, un commissaire de police, et un marché pour tenir la foire régulièrement un jour par semaine ? La colonisation est si peu avancée, en second lieu, en raison même des difficultés du terrain qui lui était réservé. Ce n’est pas la faute de l’administration non plus s’il faut déblayer deux fois ce terrain avant de le mettre en culture : une première fois pour le débarrasser des possesseurs armés qui le détiennent, et une seconde de la végétation parasite qui le couvre, s’il faut même, à vrai dire, à l’Algérie deux conquêtes, l’une politique et l’autre sociale, l’une pour soumettre les populations et l’autre pour acquérir la propriété du sol, et si, la première étant à peine achevée depuis dix ans, la seconde ne peut être encore bien avancée.

Ce n’est pas nous qui contesterons, après en avoir établi nous-mêmes tous les solides fondemens, la valeur de ces allégations. Nous ne cesserons au contraire de répéter qu’en entreprenant la conquête et la colonisation de l’Algérie, la France a voulu une chose très glorieuse déjà, peut-être très lucrative plus tard, mais en attendant très difficile. Il serait donc souverainement injuste à elle d’imputer l’existence même de ces difficultés à l’administration qu’elle a chargée de les résoudre, et après s’être lancée dans cette voie semée d’entraves, elle n’a pas le droit de s’en prendre au guide qui la mène des obstacles qui retardent son char ou des cahots qui le secouent. Rien n’est plus injuste que de faire peser exclusivement ou même principalement sur l’administration la responsabilité de désappointemens qu’il était possible de prévoir, presque impossible d’éviter, qui tiennent à des causes plus profondes et plus rebelles à la volonté humaine. Cela dit cependant, nous devons tempérer cet hommage rendu à la vérité par une restriction grave, qui empêche, suivant nous, le juge le plus bienveillant de donner dans le débat complètement gain de causé à l’accusé.

Voici cette restriction, dont les conséquences sont importantes : c’est qu’on ne saurait être admis, en justice rigoureuse, à décliner après coup une responsabilité, quand on a malheureusement commis l’imprudence de l’assumer d’avance tout entière sur sa tête. Or telle est, à n’en pas douter, la situation où s’est placée, dès le premier jour, toute l’administration française en Algérie à l’égard du problème de la colonisation. Pénétrée des obstacles que lui opposait la résistance combinée de l’esprit français et du sol africain, et ne voulant pas que le public se décourageât par cette perspective, au lieu de renvoyer une partie de sa tâche au temps, qui arrange tant de choses, et de se décharger d’une autre sur l’industrie privée, elle a pris le parti héroïque de trancher toutes les difficultés immédiatement, et à elle seule. Elle savait que la France envoyait peu de