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Reste donc ce que j’ai appelé la colonisation directe, l’immigration des hommes et non le transport des marchandises, et principalement la colonisation agricole. C’est la seule entreprise qui puisse être tentée et le noyau de toute autre. Où en est-elle ? Sur ce point, il n’y a rien de mieux à faire que de laisser parler les chiffres.

D’après M. le colonel Ribourt, la population européenne établie sur toute la surface de la régence d’Alger s’élevait, à la fin de 1857, au chiffre de 189,000 âmes. Dans les cinq dernières années, elle s’augmentait annuellement d’environ 8 ou 10,000 âmes. En admettant cet accroissement comme la base d’une progression arithmétique constante, il faudrait encore près de vingt ans pour que l’Algérie portât sur toute l’étendue de son territoire autant d’habitans qu’un de nos départemens français ordinaire.

On ne peut nier que ce chiffre ne soit très faible ; il devient moins satisfaisant encore, si on le fait suivre d’un détail que M. le colonel Ribourt ne nous donne pas. M. Ribourt ne nous dit pas comment cette faible population est répartie entre les diverses professions et les diverses localités, et surtout entre les villes et les campagnes. M. Jules Duval paraît avoir à ce sujet des renseignemens plus précis ; il a établi ici même[1] que sur les 180,000 Européens qui habitaient l’Algérie en 1857, 112,000 résidaient dans les villes, c’est-à-dire appartiennent à l’administration, au commerce et à l’industrie ; 23,000, répandus dans les campagnes, ne se livrent point à l’agriculture, mais au petit commerce, à la petite industrie des villages, d’où il suit que le nombre des cultivateurs se réduit à 45,000 personnes, représentant à peu près 10,000 familles de colons. Cette réduction donne singulièrement à réfléchir. Assurément nous ne voulons pas dire qu’il n’y ait de colons sérieux que les cultivateurs, et que ceux-ci seuls figurent utilement dans un effectif de colonisation. Dans l’intérêt même de la culture, il faut partout à côté d’elle autre chose qu’elle : partout où il y a des cultivateurs, ne fût-ce que pour transporter, débiter et consommer leurs produits, il faut bien des voituriers, des bouchers, des boulangers, des aubergistes, et même des cabaretiers. En Algérie en particulier, j’expliquerai peut-être plus tard comment je crois que ce menu commerce de détail, auquel l’émigration européenne se livre avec passion, peut devenir un ressort utile de développement colonial. Toutefois, si c’est là un accessoire indispensable, ce n’est jamais qu’un accessoire, et la culture est le principal : c’est le point fixe autour duquel gravite tout ce petit mouvement industriel ; il n’y a donc de consommé, en fait de colonisation, d’enraciné, le nom l’indique, que ce qui est fixé sur la terre. D’ailleurs la proportion d’un contre trois

  1. Livraison du 15 mai 1859.