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de la Toscane. De part et d’autre, c’était toucher au nœud de la question. Le grand-duc repoussa dédaigneusement la proposition qui lui était faite, et congédia assez durement le marquis de Lajatico, qui, en quittant l’audience du prince, trouvait dans une antichambre le comte Serristori et le général Proni, déjà désignés pour lui succéder au ministère et dans le gouvernement de Livourne. C’était vraiment une disgrâce complète, et le loyal conseiller se voyait réduit à quitter la Toscane elle-même pour avoir osé exprimer au prince une opinion franche et prévoyante suggérée par l’état du pays et de l’Italie tout entière. Les événemens vinrent cependant donner bientôt raison au marquis de Lajatico. L’agitation allait toujours en croissant, et cette constitution, qui était une impossibilité en septembre 1847, qui « aurait appelé sur la Toscane les malheurs d’une intervention autrichienne, » cette constitution devenait une nécessité au mois de février 1848. « Elle était, suivant le langage public du grand-duc, l’objet des vœux les plus anciens et les plus ardens du prince, ainsi que de sa famille, le développement des institutions que son aïeul, son père et lui-même avaient introduites dans le pays, et il s’empressait de la donner à son peuple, qu’il croyait entièrement mûr pour en savoir profiter. » Ainsi parlait le préambule du statut toscan. Les révolutions de Paris, de Milan et de Vienne ne tardaient pas à imposer l’autre partie du programme du marquis de Lajatico, l’adoption d’une politique d’indépendance nationale en Italie.

Voilà donc la Toscane entrant dans le mouvement constitutionnel et national. Le grand-duc alors dut naturellement songer à l’homme qui, quatre mois auparavant, lui avait proposé, cette politique : le marquis de Lajatico revint à Florence pour être tout à la fois ministre de la guerre et ministre des affaires étrangères. Il y avait de sa part quelque mérite à prendre le pouvoir dans des circonstances si rapidement aggravées, et où tout était difficile. Il se mit à l’œuvre pourtant, nouant une alliance plus intime avec le roi Charles-Albert, qui venait de passer le Tessin, et préparant à la hâte une petite armée toscane pour l’envoyer en Lombardie. C’est ce petit corps d’armée, fort incomplètement organisé, et à peine muni du plus strict nécessaire, qui se battit bravement sous les murs de Mantoue, dans les sanglantes affaires de Curtatone et de Montanara. Le nouveau ministre de la guerre voulut lui-même aller visiter le camp ; il se trouva à une sortie de la garnison de Mantoue, et s’élança intrépidement au plus chaud de la mêlée. Le roi Charles-Albert, témoin de sa conduite, lui donna sur le champ de bataille le grand cordon des saints Maurice et Lazare.

Ce n’était pas d’ailleurs une petite tâche que le marquis de Lajatico avait acceptée comme ministre de la guerre, en se chargeant de reconstituer et de développer les forces militaires d’un pays tel que la Toscane, où l’armée, supprimée autrefois par le grand-duc Léopold Ier, n’avait été postérieurement rétablie que dans les limites fixées par le célèbre traité du 12 juin 1815 avec l’Autriche ; ce traité assignait à la Toscane un contingent de six mille hommes, qui, en cas de guerre, devait même passer sous les ordres d’un général autrichien. Tout ce qui regardait l’armée avait donc été singulièrement négligé, et se trouvait à peu près à l’abandon en 1848. D’un autre côté, le grand-duc Léopold II était loin de seconder d’un zèle chaleureux et actif