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dans la fondation des colonies étaient d’obtenir la régularité des échanges commerciaux.

Et il y a une excellente raison pour que l’intérêt commercial ait ainsi prévalu dans l’établissement de la plupart des colonies modernes : c’est le commerce en effet qui, lui-même et lui seul, les a presque toutes fondées. Presque toutes sont dues à cette audace d’initiative qui en tout temps a caractérisé l’esprit des populations maritimes et commerçantes. Quand les dernières années du XVe siècle ouvrirent à la fois aux vaisseaux européens l’accès des trésors jusque-là si difficilement abordables de l’extrême Orient et déroulèrent devant l’imagination de l’ancien monde les perspectives éblouissantes du nouveau, ce fut le commerce qui se précipita dans ces voies à peine ouvertes. Tout l’appelait et rien ne l’arrêtait : l’élément qu’il fallait vaincre lui était familier, et le prix de la course était une innombrable profusion de richesses naturelles et inconnues à échanger contre de très modiques quantités des produits les plus grossiers de l’art européen. Aussi les premiers établissemens faits sur les côtes des deux Indes, comme on disait alors, furent-ils des comptoirs et des entrepôts. La conquête ne vint qu’à la suite du commerce, puis l’émigration à la suite de la conquête, mais toujours à l’aidé du commerce et pour le soutenir tout en s’appuyant sur lui. On prit possession des territoires nouvellement abordés ou découverts pour faire le commerce plus à l’aise à l’abri des incursions des populations sauvages et de la rivalité des nations concurrentes. Puis, là où l’on s’aperçut que les populations indigènes n’étaient ni assez laborieuses ni assez intelligentes pour exploiter elles-mêmes, avec une industrie suffisante, les richesses naturelles de leur propre sol et fournir ainsi en abondance au commerce les denrées qu’il venait chercher, là où l’on put espérer que le travail européen serait à la fois salubre et productif, on fit venir des populations d’Europe, et on leur livra la terre à cultiver ; mais ces émigrans, appelés et devancés par les trafiquans, durent ainsi toujours au commerce les avances comme la rémunération de leurs premiers travaux.

Les colonies ainsi fondées par l’esprit commercial ont pour une nation le plus grand des avantages, celui de se faire à peu près toutes seules. C’est un développement spontané dans lequel l’état n’intervient que pour le régler et le protéger. La plupart des états d’Europe ont eu, il est vrai, le grand tort d’étendre et de multiplier la règle et la protection fort au-delà du nécessaire et même de l’utile : Privilèges, monopoles, avances pécuniaires, subsides, règlemens douaniers de toute nature, toutes ces faveurs funestes, imaginées par un faux patriotisme et par une fausse science, ont été prodiguées par tous les gouvernemens d’Europe aux grandes compagnies