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moyens et sous bien des conditions différentes. Pour ne prendre que la plus saillante et la plus importante aussi de ces distinctions, une grande nation, en fondant une colonie au-delà des mers, peut se proposer l’un ou l’autre de ces deux buts : ou bien assurer un débouché certain à son industrie et à son commerce, ou bien préparer à l’écoulement de sa population surabondante un réservoir d’émigration. Bien que ces deux points de vue soient souvent confondus dans la pratique, et que l’une de ces entreprises ait souvent conduit à l’autre, il importe de ne pas les confondre ; car suivant que l’un ou l’autre de ces desseins préside à la formation d’une colonie, suivant qu’il s’agit d’exporter dans la colonie en projet des hommes ou des marchandises, ni la conduite à suivre, ni le lieu à choisir, ni les instrumens à employer, ni les obstacles à surmonter, ni les avantages à recueillir, aucune des conditions en un mot n’est exactement pareille. Le régime intérieur de la colonie une fois fondée ne peut non plus être le même, si la mère-patrie se propose d’y établir un entrepôt commercial, ou si elle prétend en faire une autre elle-même, sa continuation, sa reproduction et son image sur un territoire éloigné.

Je ne sais si cette distinction fut aperçue aussi clairement que je l’établis par les nations de l’Europe qui ont fondé depuis trois siècles tant d’illustres et florissantes colonies. Les spéculations de ce genre n’ont jamais été très claires dans l’esprit ni des politiques ni des publicistes de l’ancienne Europe, et l’étaient peut-être moins que jamais au moment du grand, développement colonial qui a suivi les découvertes de Vasco de Gama et de Christophe Colomb. L’histoire même de ce développement montre que, soit que les colonisateurs s’en rendissent ou non un compte exact, ce fut alors la pensée commerciale qui domina presque exclusivement et qui régit ces innombrables entreprises, dont beaucoup ont été si fécondes. Presque toutes les colonies modernes ont été conçues au point de vue commercial : la preuve matérielle en subsiste dans les restes de ce qu’on nomme par excellence en législation le système colonial, si longtemps en vigueur dans toute l’Europe, et dont les débris se défendent encore dans nos lois contre les progrès de la science et l’activité envahissante de la liberté industrielle. Ce système en effet, qui consiste, comme chacun sait, à établir entre les anciens et les nouveaux sujets d’un même état un échange de monopoles, — à garantir à la métropole le privilège exclusif du marché colonial pour ses produits fabriqués, en assurant aux colonies un privilège analogue pour leurs produits naturels sur le marché de la métropole, — ce système, dis-je, atteste très évidemment qu’aux yeux de ceux qui l’inventèrent, le principal mérite et le but à poursuivre