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les éblouir par ce prestige vainqueur de la raison et de la puissance qui a fait tomber tant de sauvages et tant d’idoles au seul souffle de la conquête chrétienne. S’il y avait chez les habitans de l’Algérie assez de civilisation pour qu’il fût impossible de les dompter par surprise et de les prendre d’assaut, comme on peut faire des sauvages de l’Océanie, il n’y en avait pourtant pas assez pour qu’on pût établir aisément entre eux et nous une union fondée sur des maximes communes de gouvernement. Ils n’en restaient pas moins séparés de la société française par les plus profonds abîmes que la diversité des principes et l’opposition des croyances puissent creuser : ils différaient de nous par les fondemens mêmes sur lesquels l’humanité repose, par les deux rocs auxquels sont attachés les premiers anneaux du lien social, la constitution de la propriété et de la famille. C’en était assez pour que de longtemps la possession d’un tel pays ne pût être paisible, et par conséquent la conquête fructueuse. Il était trop évident qu’elle emprunterait pendant une période indéfinie les forces et les ressources de la France, avant de lui en fournir à son tour. Il faut ajouter, pour dresser complètement le bilan de la conquête, que ces descendans d’Abraham, n’ayant pas fait, depuis leur aïeul, un progrès dans la culture, se présentaient comme les plus médiocres exploitans d’un beau sol, et par conséquent promettaient les plus mauvais payeurs d’impôt qu’on puisse imaginer.

Toutes ces considérations furent entrevues, sinon complètement approfondies, du premier coup par la sagacité de l’instinct national. Dès le lendemain de la victoire, avant qu’on sût bien quelles en seraient les conséquences, avant qu’on eût mesuré, même du regard, les limites, encore moins parcouru l’étendue de l’héritage, une sorte de cri public s’éleva pour avertir la France que conquérir l’Afrique pour la posséder et s’en tenir là, ce serait la plus laborieuse et la plus stérile des opérations. Un petit nombre, qui se croyaient prudens, en conclurent qu’il fallait s’en aller au plus vite. La foule, éclairée par des pressentimens plus justes, ou éblouie par le renom d’une possession lointaine, décida au contraire qu’au lieu de se retirer du rivage d’Afrique, il fallait s’y transporter en masse et en grand nombre. Il n’y avait que quelques pouces de terrain possédés par nos armes que déjà l’idée d’une colonisation avait germé dans toutes les têtes. Que dis-je ? Le premier retour des bâtimens qui avaient annoncé la victoire ramenait déjà des colons. Il fut décidé, par ce verdict de l’entraînement populaire, contre lequel il n’y a guère d’appel possible, que l’Algérie, pour valoir quelque chose, n’était pas seulement une conquête à détenir, mais une colonie à fonder.

Une colonie, le mot est bien vite prononcé : il y a des colonies de beaucoup d’espèces, fondées dans bien des pensées, par bien des