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de la littérature et des arts. Il sentait vivement et jugeait avec finesse. Hoffmann, ce merveilleux conteur, Henri Stieglitz le comprend sans effort ; il voit immédiatement sa valeur, et sans dissimuler ses défauts, il le classe à son rang. Henri Heine, complètement inconnu encore, venait de lancer, pour ses débuts, quelques pièces de vers humoristiques dont les gens graves ne parlaient qu’avec dédain ; Stieglitz déclare qu’il y a là un poète et un vrai poète. Tous ses jugemens attestent ainsi un esprit indépendant ; on voit l’homme qui pense à ses risques et périls, et qui ne répète pas les opinions d’autrui.

Je ne sais s’il appréciait l’effrayante grandeur des doctrines de Hegel, car il n’était pas spécialement philosophe. À voir pourtant l’obstination acharnée qu’il apporte à l’étude du mystérieux maître, on s’aperçoit bien qu’il faisait mieux que soupçonner l’importance de ces théories et le rôle qu’elles devaient jouer dans la vie intellectuelle de l’Allemagne ; mais ce sont surtout les arts, la musique, la peinture, les représentations théâtrales, qui fournissent à Henri Stieglitz l’occasion de déployer son enthousiasme et son génie critique. C’était le moment où les drames de Calderon, de Shakspeare, popularisés par des traductions admirables, avaient pris possession de la scène allemande ; c’était l’époque où Weber traduisait avec tant d’originalité l’inspiration romantique de son pays. Il faut entendre Henri Stieglitz juger tout ce radieux épanouissement du romantisme germanique pendant son séjour à Berlin. Quand il vient d’assister à un opéra de Weber, à un drame de Calderon, à une tragédie d’Henri de Kleist, il faut entendre, dans ses lettres à Charlotte, ses cris de joie mêlés de réflexions si vives, si lumineuses, et ses jugemens définitifs si nettement formulés. En même temps qu’il comprend si bien les romantiques, comme il aime le grand art classique et l’harmonie souveraine ! comme il parle de l’Alceste de Gluck, du Don Juan de Mozart, de l’Iphigénie de Goethe ! Goethe est son maître ; s’il n’a pas osé le visiter dans sa retraite de Weimar, il le voit partout en esprit, il suit partout sa trace ; l’Allemagne entière lui parle de Goethe au moment même où l’Allemagne semblait oublier le grand poète, au moment où les générations nouvelles, par la voix de Wolfgang Menzel et de Louis Boerne, allaient lancer contre l’auteur de Faust des accusations si amères. Un jour, pendant une excursion en Westphalie, il va revoir sa ville natale, Arolsen, et là il rencontre un de ses compatriotes, le vieux peintre Tischbein, que Goethe avait connu si intimement en Italie. Dans les Annales, dans le Voyage en Italie, dans maintes poésies lyriques de Goethe, le nom de Tischbein revient sans cesse. Tischbein, l’auteur du grand tableau, si souvent reproduit par la gravure, qui représente Goethe, en costume de voyage, assis et méditant sur une colonne renversée à l’entrée de la campagne romaine, Tischbein é