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Mac-Mahon. Des vivres, des munitions et des canons venaient à chaque instant s’entasser autour de la petite gare de San-Martino après avoir été déchargés des wagons. La traversée sur le fleuve se faisait alors par deux ponts de bateaux construits de chaque côté de Ponte-Tessino, l’un par nos pontonniers avec leur matériel, l’autre par le commerce avec les grandes barques du Pô. Sur ces deux voies de communication se croisaient d’immenses convois de charrettes et de soldats rejoignant leurs corps, de longues files de prisonniers lombards chantant les airs nationaux de l’Italie. Des hauteurs de San-Martino, sur les débris d’une batterie abandonnée par l’ennemi, on voyait se dérouler un panorama immense, encadré par une végétation vigoureuse : devant soi Magenta, à sa gauche Turbigo, et à ses pieds le fleuve, avec ses trois étages de canaux d’irrigation, sans cesse traversés par cette fourmilière humaine pleine d’activité et d’espérances. L’on assistait par la pensée à lq grande bataille qui s’était livrée en ces lieux il y avait si peu de temps, et l’on en ressentait encore les poignantes émotions. Puis, en voyant cette accumulation de matériel, de vivres et de munitions arrêtés depuis quinze jours par l’écroulement d’un pont, on comprenait toute l’étendue d’une défaite qui viendrait priver l’armée de telles ressources.

L’amiral, de son côté, sentait tout le prix du temps, et, sans attendre la fin des travaux, fit décharger à Trécate et mettre sur des charrettes tous les bois nécessaires à la construction de la canonnière n° 8, alors en tête du convoi. Cette canonnière passa le fleuve sur le pont de bateaux construit par nos pontonniers, et fut rechargée de l’autre côté sur des wagons lombards. Elle alla ainsi jusqu’au pont de San-Marco, sur la Chiese, qu’elle trouva démoli. On recommença alors le même travail pour la porter enfin à Desenzano. Si tous les ponts que l’ennemi avait fait sauter n’eussent pu être rétablis promptement, on eût construit des chemins de fer portatifs de 500 mètres de long, et les wagons les plus lourds auraient été traînés par les routes ordinaires sur des rails qu’on eût disposés les uns devant les autres à mesure que les voitures auraient laissé quelques mètres de libres derrière elles. On n’eût reculé devant aucun travail, si l’on eût cru gagner de la sorte seulement vingt-quatre heures. C’est à l’annonce d’un prochain départ que les matelots et ouvriers, en regardant leurs membres meurtris par tous ces transports, se demandaient si un jour ils seraient portés par ces bateaux qu’ils avaient eux-mêmes tant portés sur leurs épaules. M. Amilhau réussit à l’heure dite dans son gigantesque travail, et la flottille passa la première comme pour en constater la solidité. Le lendemain, elle partait pour Desenzano.

Quand des hauteurs de Lonato les marins découvrirent enfin ce