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les droits des chambres, nous nous plaçons à ses côtés pour empêcher de plus grands désastres, afin de l’aider à établir un régime libéral ; mais nous ne renonçons pas pour cela à nos idées, qui auront leur jour par le progrès régulier de la raison publique, non par la force matérielle des révolutions. Nous soutenons aujourd’hui le cabinet parce que dans notre pensée c’est l’unique moyen d’assurer l’avenir des idées libérales elles-mêmes et d’échapper à l’anarchie d’un côté, au despotisme de l’autre. » Cette juxtaposition d’élémens si divers imposait d’ailleurs au gouvernement une singulière réserve. Le ministère sentait bien que s’il élevait des questions de principe touchant à l’ordre politique, cette majorité complexe et fragile pouvait à tout instant voler en éclats, modérés et progressistes retournant à leurs affinités naturelles. Aussi mettait-il tout son art à éviter les périlleuses questions où on ne pouvait s’entendre, et par le fait cette session, qui commençait par toutes les vivacités des débats de l’adresse, continuait par la discussion de projets d’un ordre tout spécial ou économique, tels que le budget, une loi affectant un crédit extraordinaire de deux milliards de réaux à de grands travaux publics, d’autres lois sur la compétence du conseil d’état ou sur le recrutement. Une loi sur la presse était présentée, et on se hâtait prudemment de l’ensevelir dans le mystère d’une commission d’où elle n’est point encore sortie. Ainsi ménagemens infinis pour une majorité artificielle et équivoque, attitude passionnée, militante, agressive vis-à-vis des oppositions, telle était sous sa double face la politique du gouvernement.

L’antipathie entre le ministère et l’opposition conservatrice était surtout très vive et arrivait à un degré d’irritation extrême ; c’était au fond une vieille et implacable querelle. Les modérés poursuivaient toujours dans le général O’Donnell le chef de la révolte militaire du 28 juin 1854, et le comte de Lucena à son tour, sans vouloir rentrer dans la discussion du passé, ne résistait pas à la tentation de réveiller des souvenirs irritans, comme pour créer à sa prise d’armes une sorte de légitimité rétrospective par l’indignité des administrations modérées qui avaient précédé la révolution. De là un épisode qui surgissait tout à coup, et où, sous l’apparence d’une question de moralité, se déguisaient assez peu les haines personnelles. Le mot de moralité joue un grand rôle dans les affaires de l’Espagne depuis dix ans ; il a été un programme de gouvernement, il est devenu le prétexte d’une révolution. Les cortès constituantes, issues de cette révolution, allaient fouiller tous les actes des cabinets conservateurs depuis 1843 pour y découvrir des traces d’improbité et de vénalité. Cet orage d’accusations avait semblé s’apaiser, lorsque le général O’Donnell, cédant à un dangereux désir de