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notions religieuses du siècle dernier, n’a en définitive pas de sens. Si l’ordre normal et régulier des choses est une révélation de Dieu, il est indifférent pour l’homme religieux que les phénomènes de la religion soient ou non rattachés à une action directe et immédiate de Dieu. Les deux conceptions se recouvrent et se supposent : l’une est plus scientifique, l’autre plus populaire ; l’une a sa place dans le livre et dans l’intelligence, l’autre dans le cœur pieux et la prière ; mais il serait tout simplement absurde de nier l’une par l’autre.

Par exemple, la philosophie incrédule du siècle dernier eût regardé comme une grande victoire, l’apologie croyante eût regardé comme une assertion dangereuse la thèse, aujourd’hui démontrée, que le monothéisme ne fut pas exclusivement l’apanage du peuple d’Israël dans l’antiquité, et que, sans qu’il puisse être question pour eux de révélations miraculeuses, plusieurs autres peuples sémitiques y sont arrivés en vertu du développement spontané d’une tendance particulière à cette race. L’histoire religieuse de nos jours constate le fait, l’exprime comme je viens de le dire et en conclut tranquillement que cette race, dont l’exemplaire le plus parfait est le peuple d’Israël, portait en elle-même la religion universelle de l’avenir. Il est donc vrai qu’Abraham est le père de la foi, que Jehovah est le vrai Dieu, l’esprit absolu que l’humanité doit un jour adorer.

Autrefois l’apologie forgeait des armes qu’elle croyait irrésistibles en opposant les rapides conquêtes du christianisme dans le monde grec et romain aux obstacles de tout genre qu’il avait à vaincre. C’était dans l’espoir de démontrer que le miracle seul pouvait être cause d’une religion dont la victoire était miraculeuse. La philosophie anti-chrétienne cherchait à ébranler l’argumentation, faisait de Julien un grand génie, et de Constantin le véritable fondateur de l’église. Une étude plus impartiale a montré que le christianisme répondait trop bien à l’état des esprits, tels que les avaient faits la conquête romaine, l’anéantissement des nationalités, la philosophie du passé, les tristesses du présent, pour qu’il ne les attirât pas par la seule force de sa morale et de ses doctrines, et il faut en conclure que, dans le développement de l’humanité, le Christ est venu à son heure. C’est précisément ce qui montre le mieux la légitimité de son entreprise dans l’histoire. Cela ne signifie pas sans doute qu’en religion tout soit également divin. Ce qui est divin, c’est le développement lui-même et sa loi intérieure. Le contraire du divin, ce que l’on pourrait appeler l’humain et le terrestre, ce sont les obstacles que l’homme, sous sa responsabilité, oppose au développement normal et libre de la pensée religieuse, ce sont les paresses intéressées qui le retardent, ce sont les défaillances de l’esprit qui perd le sens religieux, et n’éprouve plus pour les choses religieuses que de l’indifférence ou du mépris.