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bien que de la religion de la science ; il y a quelque chose de religieux à chercher le vrai pour l’amour du vrai dans les religions comme dans tout le reste. L’historien et l’observateur ne partent pas de l’état de neutralité absolue qu’on a souvent exigé d’eux. L’homme ne peut ni ne doit être absolument neutre. Il doit toujours vouloir le vrai et le bien : ne pas les vouloir, c’est déjà se décider en sens contraire. Mais quand on sait d’avance qu’il s’agit de trouver par l’étude et l’observation la révélation de la pensée divine dans ce genre de phénomènes comme dans tous les autres, on se défend scrupuleusement de faire intervenir la moindre politique dans ses recherches. Les erreurs, toujours possibles, n’affligent plus du moment qu’elles sont consciencieuses. Lorsqu’on les découvre, on se relève par l’intention droite et religieuse qui leur préexistait. L’essentiel, aux yeux de la conscience, n’est pas tant de connaître Dieu que de le chercher, et chercher Dieu, c’est en un sens l’avoir déjà trouvé, car c’est obéir à la voix intérieure et sacrée qui nous pousse toujours en avant à la conquête de la vérité.

Ainsi, au dualisme superficiel qui mettait à part une seule religion et reléguait tout le reste dans le domaine des ténèbres, ou qui opposait l’un à l’autre, comme le jour à la nuit, le monde de la raison et celui des religions, se substitue l’idée du développement, et par suite d’une subordination mutuelle des religions l’une à l’autre plutôt que d’une opposition radicale. Sans doute chaque degré nouveau d’un développement spirituel nie le degré antérieur ; mais il plonge en lui par ses racines, il le suppose, il n’existe que par lui. Le monothéisme n’acquiert sa valeur et la conscience de lui-même qu’en se dégageant du polythéisme environnant ; les dieux humains de la Grèce sont à la fois la négation et la plus haute expression des divinités purement physiques des premiers Pélasges. Abolir en ce sens, c’est accomplir. L’humanité apparaît dans son histoire comme un homme qui a dû passer par toutes les phases de l’enfance, de l’adolescence, de la première jeunesse, qui touche à peine à sa maturité. L’homme fait aurait honte de lui-même, s’il reprenait les jouets de son enfance, s’il recommençait à balbutier, et cependant il sait bien que c’est en jouant, en balbutiant, que son esprit a développé ses forces naissantes. Quel charme ont pour nous les souvenirs d’enfance ! Eh bien ! qu’il s’agisse de l’espèce ou de l’individu, ce charme a sa raison d’être et sa légitimité. Chaque chose a son temps et son lieu, et le seul blâme que l’on soit en droit d’émettre dans l’histoire des religions tombe sur les amis obstinés du passé, qui ont voulu arrêter le vaisseau lorsque le souffle d’en haut gonflait ses voiles, et que l’ordre était déjà donné pour le grand départ.

L’opposition du surnaturel et du naturel, qui était à la base des