Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du Dieu de Jacob sur tous les autres. L’homme peut se croire plus grand et plus fort que le monde, mais non pas que l’Esprit infini qui le pénètre et le domine absolument.

Mais comment donner en quelques pages une esquisse de ce monde si curieux, si plein de vie, de variété, de pittoresque et de sérieux, de grandeurs et de bizarreries, de poésie et de subtilité raffinée, de boue et d’or, qui s’appelle les religions ? Ce qu’il importe de constater, en s’appuyant de quelques travaux récens, c’est que nulle part l’esprit humain n’est plus intéressant à étudier que dans son développement religieux. Nulle part la pensée n’est plus fortement attirée par l’espoir de découvrir la symétrie interne qui commande et organise le chaos apparent. Et ici en effet, dans les détails comme dans l’ensemble, l’esprit est partout, l’arbitraire nulle part. Tout a un sens, tout a sa raison d’être, tout se rattache d’une manière ou d’une autre à un état déterminé de l’âme que nous devons nous efforcer de ressentir en nous-mêmes, si nous voulons faire de l’histoire. Les cérémonies les plus grotesques en apparence des anciens cultes acquièrent une signification inattendue quand on en sonde l’origine psychologique, et depuis la forme la plus élevée du sacrifice, ce centre de toute religion positive, depuis le sacrifice suprême, qui consiste à immoler son égoïsme et sa sensualité, à donner, quand il le faut, sa propre vie pour faire ce qu’ordonne la conscience, jusqu’à la grossière offrande que présente à son informe idole le sauvage de l’Amérique du Nord, il n’est pas une manifestation de la vie religieuse qui ne soit une révélation de l’esprit obéissant aux tendances supérieures qui le sollicitent.

Les religions sont par conséquent et au même titre que toutes les autres choses de l’esprit (c’est encore un fait établi par la critique nouvelle) l’objet d’une science qui, pour réaliser sa mission, n’a pas à prendre parti d’avance pour ou contre les phénomènes qu’elle étudie, mais simplement à les constater, à les classer, à en déterminer les lois. C’est ici que se révèle la haute importance du point de vue philosophique que nous avons signalé. Une science réelle des religions était impossible tant que l’on se plaçait d’avance sur le terrain d’une religion exclusive, en dehors de laquelle on ne voyait qu’absurdités et mensonges. Elle ne l’était pas moins quand on prétendait la créer avec une arrière-pensée d’hostilité contre les religions en général. Voilà pourquoi les pères de l’église et les historiens de l’école classique comprennent si mal l’antiquité païenne, et pourquoi la science contemporaine ne peut plus que sourire devant les systèmes où le XVIIIe siècle se complut trop longtemps, et dont l’Origine de tous les Cultes de Dupuis est un des spécimens les plus populaires. Désormais on peut parler de la science des religions aussi