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l’exercice normal de sa souveraineté. Il n’y a pas non plus au Chili d’antagonisme de classes, puisque toutes les classes se sont si étrangement fusionnées dans les rangs révolutionnaires, ni de ces querelles économiques si difficiles à apaiser. L’état financier est excellent. La crise commerciale ne peut se prolonger indéfiniment : les dernières nouvelles annoncent qu’on vient de découvrir encore des gisemens métalliques d’une grande richesse, ce qui détermine ordinairement une reprise d’affaires.

Il est évident en outre que l’alliance des ultra-libéraux et des ultra-conservateurs n’est pas durable. Il faut réchauffement d’une extrême colère pour mélanger ainsi des partis extrêmes : ils se séparent à mesure que le temps les refroidit. Considéré isolément, chacun de ces partis porte en lui-même des élémens de décomposition. Si les pelucones ont réellement subi en 1852 des influences venues d’au-delà des mers, ne seront-ils pas impressionnés en sens contraire, aujourd’hui que la propagande jésuitique est en échec ? D’un autre côté, quand les jours de réflexion calme seront revenus, les utopistes et les exaltés comprendront qu’on n’améliore pas un gouvernement au moyen d’une opposition poussée jusqu’à la guerre civile, que d’ailleurs le despotisme n’est jamais à craindre de la part d’un pouvoir qui développe largement l’instruction publique et ne cherche pas à constituer des monopoles industriels. Plusieurs des progressistes et des plus intelligens sont actuellement en Europe : ils feront là de sages réflexions en voyant que sur beaucoup de points notre vieux monde est encore plus loin que leur pays de l’idéal qu’ils ont rêvé.

Quant au parti victorieux, il est devenu réellement le parti national. La présidence, le congrès, la hiérarchie administrative à tous ses degrés, n’ont fait qu’un seul corps pour défendre la loi. L’armée chilienne a donné un exemple de loyauté et de discipline sans pareil dans l’histoire de l’Amérique espagnole. À l’exception de la garde urbaine de Copiapo, pas un seul bataillon n’a méconnu les ordres du président qui ne sera plus bientôt qu’un simple citoyen, et si l’on peut citer quelques officiers parmi les frondeurs, pas un seul n’a porté les armes contre l’autorité. De toutes parts on arrive à reconnaître cette vérité sentie par les sages auteurs de la constitution, qu’un pouvoir exécutif vigilant et fort est nécessaire au Chili comme modérateur entre les élémens extrêmes : c’est un progrès, et à ce point de vue on peut espérer que la dernière convulsion de la jeune république n’aura été pour elle qu’une fièvre de croissance.


ANDRE COCHUT.