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Cet ordre ne fut pas respecté. La réunion ayant eu lieu et plus de trois cents personnes étant en séance, on répondit avec hauteur à une sommation faite en termes polis par l’intendant de la province, qui, avant d’en venir aux mesures de rigueur, voulut faire un dernier appel aux sentimens de conciliation. Il fut donc nécessaire d’employer la force, et on envoya à cet effet un peloton de soldats pour disperser la réunion. L’acte séditieux prit alors une teinte plus prononcée. Le chef de la troupe fut insulté, et quelques libéraux exaltés commencèrent à pérorer en adressant des excitations aux soldats. La mesure était comblée ; une plus longue tolérance n’eût été que de la faiblesse : le gouvernement accepta résolument cette nouvelle situation. Par son ordre, les constituans furent conduits, au nombre d’environ deux cents, à la caserne de police, au milieu de la plus complète indifférence de la population ; deux heures après, les villes de Santiago et de Valparaiso étaient déclarées en état de siège.

Par suite de ces mesures, il se fit dans la presse et au sein des factions un silence momentané ; mais le public ne s’y trompa point : chacun resta persuadé que la première escarmouche amènerait des hostilités sur une large échelle. En effet, dès le 5 janvier 1859, quelques citoyens de Copiapo, aidés par la garde urbaine (ou, comme on dirait chez nous, la garde nationale), qui composait la principale force de la ville, chassèrent les autorités légales en combinant une surprise, et nommèrent intendant et commandant d’armes un jeune homme appartenant à une des plus honorables et des plus opulentes familles du pays, M. Pedro Léon Gallo.

Le 15 du même mois, un autre coup de main mettait Talca au pouvoir des révolutionnaires. Deux localités tout à fait distinctes, l’une au nord, l’autre au sud, attiraient donc en même temps l’attention du gouvernement. La province de Talca, qui forme l’extrémité de la vallée centrale de la république, est séparée des pays du sud par le grand fleuve Maule, qui ne peut être franchi qu’en très peu d’endroits. C’est donc une ligne importante, parce qu’elle est d’une défense facile. L’histoire des guerres civiles du Chili présente d’ailleurs les provinces du midi comme celles où se recrutent plus facilement les insurrections. Pourvues de ressources pour la guerre et peuplées de gens chez qui le voisinage des Indiens entretient les habitudes belliqueuses, assez disposées d’ailleurs à méconnaître la prépondérance, des grandes villes du centre, ces campagnes ont presque toujours fourni les armées qui des environs de Penco se sont élancées vers Santiago avec des instincts destructeurs. Ces considérations faisaient de la prise de Talca un accident grave dont la coïncidence avec d’autres mouvemens, comme on devait s’y attendre, mettait l’ordre établi en grand péril.