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puis le moment n’était pas venu de désavouer les auxiliaires actifs sur lesquels on comptait pour la guerre contre la présidence.

En y réfléchissant d’ailleurs, on reconnaît que la conduite des ultra-conservateurs était moins imprudente qu’il ne semble au premier abord. En supposant que les choses eussent été poussées à l’extrémité et qu’on fût parvenu à renverser le parti qui s’appuie sur la constitution et prétend conserver la politique nationale de Portalès, la coalition victorieuse se serait dissoute aussitôt, et on n’aurait pas tardé à voir les ultra-conservateurs et les progressistes à couteaux tirés. Pour qui auraient été les chances dans cette nouvelle lutte ? Le parti progressiste est formé par un groupe de personnes, jeunes pour la plupart, appartenant à la classe instruite, et dont plusieurs sont les héritiers des familles les plus riches : dans sa composition actuelle, ce parti est peu nombreux et n’a pas prise sur les grosses masses de la population. Si pour se fortifier il s’adressait aux passions de la foule ignorante, il surviendrait des excès dont les utopistes à nature généreuse seraient révoltés les premiers, et le progressisme se dissoudrait par la défaillance de ses chefs. Il peut y avoir des désordres au Chili, mais les élémens d’une révolution populaire n’y existent pas. La situation du peluconisme est bien différente : il a de l’argent en abondance ; l’autorité morale du clergé lui prête son prestige ; il possède avec ses vastes domaines la clientèle de ses inquilinos, attachés à lui par une sorte de servage. En cas de crise extrême, il rallierait autour de lui les honnêtes gens effarouchés, en leur faisant appel au nom de l’ordre public et du salut social. En définitive, le peluconisme resterait le maître du terrain. Ainsi on a dû raisonner dans les conciliabules où le jésuitisme a la parole.

Les choses en étaient venues à un point d’aigreur et de provocation où un pays ne peut rester longtemps. Le 12 décembre 1858, on entra dans la phase de la révolution active. L’Assemblée Constituante avait convoqué les opposans de toute nuance qui se trouvaient à Santiago à une réunion où devaient être discutées les bases d’une réforme constitutionnelle. Le gouvernement, comme on a pu le voir, avait souffert que ses adversaires pratiquassent toute sorte d’hostilités, sans recourir aux moyens extraordinaires que la constitution accorde, ni même aux ressources ordinaires de la loi ; mais enfin, dans cette convocation d’une assemblée populaire invitée à donner son adhésion à un plan de réforme constitutionnelle, il vit un acte désorganisateur de nature à compromettre l’ordre public, et il défendit la réunion. En cela, il ne faisait que remplir une disposition en vigueur depuis 1851, qui, tout en reconnaissant le droit de réunion, prohibe cependant les clubs lorsqu’ils prennent le caractère d’une association politique.