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soit valide, que les deux tiers au moins des électeurs prennent part au scrutin : lorsque cette formalité n’est pas remplie, c’est le sénat lui-même qui tranche la difficulté en choisissant au scrutin secret entre les deux candidats qui ont obtenu le plus grand nombre de suffrages. Dans la province de Santiago, les opposans, après s’être comptés, s’abstiennent de voter afin que l’élection reste nulle : aussitôt les amis du pouvoir, imaginent de compléter le nombre des votans en engageant un électeur malade à envoyer son vote par écrit. À en juger par la polémique acre et violente que souleva cet incident, on pouvait présager que la nation marchait à la guerre civile, parce que déjà elle, en était arrivée à cet état de lièvre qui ne comporte plus la discussion impartiale, la recherche désintéressée de ce qui est juste et vrai.

La lutte électorale vint offrir au clergé ou plutôt à l’archevêque de Santiago une occasion de resserrer son intimité avec le parti pelucon. Depuis longtemps déjà, il existait à Valparaiso une chapelle protestante que l’autorité avait tolérée pour ne pas heurter l’esprit de notre époque, et en considération des besoins religieux du grand nombre d’étrangers établis dans la ville. La constitution chilienne exclut, il est vrai, l’exercice public de tout culte autre que celui de l’église catholique ; mais comme cette chapelle était en apparence propriété particulière et n’avait ni cloches, ni autres signes extérieurs qui lui donnassent l’aspect d’un temple, le gouvernement s’était abstenu de tout acte répressif à son égard, donnant ainsi à la disposition constitutionnelle l’interprétation la moins rigoureuse possible. Cependant cette condescendance ouvrait carrière à l’hostilité du pouvoir spirituel. À l’approche du jour fixé par la loi pour les élections, l’illustrissime archevêque adressa aux fidèles un mandement destiné à leur dénoncer la violation de la loi politique, comme celle de la loi religieuse : on y montrait le ver rongeur (le protestantisme) que les ennemis de l’église tâchaient d’introduire sournoisement dans la société, et l’urgence qu’il y avait pour tous les bons chrétiens de serrer leurs rangs pour résister au danger qui les menaçait. Par une coïncidence remarquable, qui n’était sans doute pas fortuite, l’édit spirituel, que les curés devaient lire pendant trois dimanches consécutifs dans les paroisses, était lu pour la troisième fois le jour même des élections.

La population du Chili, quoiqu’elle se soit bien modifiée depuis la chute de la domination espagnole, est encore accessible au fanatisme : le clergé conserve beaucoup de prise sur elle, et les coups qu’il frappe au nom de la religion peuvent porter très loin. Déjà une centaine de personnes appartenant aux classes distinguées s’étaient adressées au gouvernement pour lui demander, ce qui leur semblait