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irréconciliables. Il se perdait au contraire en acceptant. Un gouvernement ne peut pas, sans se déconsidérer, approuver une loi d’amnistie qui lui est dictée par ses adversaires. S’il la trouve juste et sans péril, pourquoi n’en a-t-il pas pris l’initiative ? S’il la juge inopportune et qu’il la subisse, il se sent donc bien faible ? Ainsi raisonne le public.

La situation qu’on venait de faire au président était difficile. Il savait fort bien que les idées de conciliation et d’apaisement, tombant au milieu d’une société dont les instincts sont chevaleresques et les aspirations généreuses, y devaient être accueillies avec faveur. Son devoir à lui était de mesurer froidement la portée d’un acte de faiblesse qui eût fait passer infailliblement l’influence morale, et bientôt après le pouvoir effectif, aux mains imprudentes que l’impulsion jésuitique faisait mouvoir. Il puisa dans sa conscience cette force dont l’homme d’état a besoin pour braver l’impopularité. Il combattit résolument dans la chambre des députés la motion adoptée par les sénateurs.

Il faudrait de trop longs détails pour exposer les péripéties du débat, pour dire comment le projet, repoussé d’abord par les députés, repris avec certaines modifications par les sénateurs, porté de chambre en chambre, finit par être adopté, grâce aux plus subtiles ressources de la tactique parlementaire. Vaincu en apparence, le pouvoir exécutif ne se laissa pas abattre par ce résultat, et, faisant usage de la prérogative qui lui est attribuée par la constitution, il présenta des observations sur la loi, et proposa d’en limiter les effets aux tolérés politiques, c’est-à-dire aux condamnés qui, malgré une sentence de bannissement, étaient revenus dans le pays et y vivaient paisiblement. Pour justifier cette restriction, le pouvoir alléguait que, s’il était convenable de tendre la main à ces tolérés politiques, au nombre d’une cinquantaine environ, qui avaient été pour ainsi dire au-devant de l’amnistie en rentrant d’eux-mêmes avec des sentimens adoucis, il n’y avait aucune raison pour étendre cette faveur à un très petit nombre d’individus qui, restant volontairement à l’étranger au lieu de profiter de la tolérance offerte à tous, montraient par là qu’ils n’étaient pas encore ralliés aux institutions qu’ils ont combattues : il n’appartenait pas non plus au pouvoir d’amnistier, avant qu’ils fussent condamnés, certains individus compromis dans une tentative de subversion toute récente et placés encore sous la main de la justice : c’étaient ceux probablement que les auteurs du projet d’amnistie tenaient le plus à sauvegarder. Le sénat finit par se rendre à ces raisons, et l’amnistie eut lieu dans les limites marquées par le pouvoir.

Au milieu de ces tiraillemens, les partis s’étaient groupés et organisés