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Non certes, et c’est en cela précisément que consiste l’importance du retour de l’esprit français vers les études religieuses. Il dépend de nous en effet de reconquérir par cette voie un ascendant que nous avons perdu. Il suffit pour cela qu’un certain nombre des écrivains français les plus distingués continuent de consacrer à l’étude des religions et des faits qui s’y rattachent leurs méditations et leurs recherches, et que, par leur intermédiaire, le public éclairé, mieux informé de ce que sont en elles-mêmes les choses religieuses, abjure enfin ce malheureux point de vue du XVIIIe siècle, dépassé ailleurs depuis longtemps. Que l’on se rassure : il ne s’agit nullement de revenir à celui du XVIIe, qui ne l’est pas moins. Il s’agit de revenir à la saine tradition de l’Europe moderne et chrétienne, également éloignée et de la sauvage intolérance du moyen âge et de l’indifférence peu raisonnée des temps qu’on appelle chez nous civilisés.

Déjà la littérature contemporaine de la France a été enrichie de travaux d’un mérite supérieur dans cet ordre de recherches. Les œuvres philosophiques et religieuses de M. Edgar Quinet ouvrirent une voie de recherches restée jusque-là inféconde. Ce ne sont ni les applaudissemens ni le succès littéraire qui leur ont manqué lorsqu’elles ont paru. Pourtant il est douteux qu’on les ait encore estimées généralement à leur vraie valeur. La poésie du style, l’élévation généreuse de la pensée, le libéralisme ardent de l’écrivain, ont plus fait pour lui concilier les chaudes sympathies de la jeunesse que les mérites plus cachés résultant d’une érudition puisée aux meilleures sources, élaborée par un esprit d’élite. Combien de points de vue et d’aperçus qui semblent tout nouveaux à notre public d’aujourd’hui sont déjà pressentis et même développés dans le Génie des Religions et les autres œuvres de l’éminent écrivain ! Ceux qui suivent d’un œil attentif la marche des idées religieuses dans la France contemporaine doivent certainement décerner à M. Quinet l’honneur d’avoir plus contribué qu’aucun autre à imprimer une direction nouvelle à l’esprit français en matière d’études religieuses[1]. Déjà les travaux de nos orientalistes ont conquis une réputation méritée et facilité

  1. Qu’on veuille bien se rappeler que nous parlons toujours d’études. Avant M. Quinet, il est certainement des œuvres remarquables à plus d’un titre, par exemple, l’ouvrage de Benjamin Constant sur la Religion, livre peu lu aujourd’hui et dont l’influence n’a pas été très sensible. On prépare une réimpression des œuvres religieuses de Samuel Vincent, de Nîmes, l’ancien adversaire de Lamennais, et dont les vues profondes seront mieux appréciées aujourd’hui qu’il y a trente ans, où on ne le comprenait guère. Le Génie du Christianisme a été le signal de la réaction littéraire contre le XVIIIe siècle, en ce qu’il a réveillé le sens de l’infini et le goût des beautés religieuses ; mais sans contredit cet immense succès n’était possible que dans une société où la connaissance des religions était peu répandue.