Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/765

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les vieillards, les femmes délicates y viennent respirer l’air pur et jouir de la fraîcheur du paysage. Je montai dans Eastgate-Street un escalier qui me conduisit à un pont et de là sur les remparts de la ville. Il était curieux de plonger du regard dans l’intérieur des maisons qui se serrent au pied du vieux mur, dans les cours, les jardins pleins d’herbe et de verdure, où de fragiles plantes grimpantes jetaient leurs tiges délicates et leurs fleurs sur des maçonneries usées par l’âge ; mais il faut s’avancer un peu pour que la vue se développe et s’agrandisse. Ici l’œil suit au loin les méandres de la rivière Dee, qui se rend à son embouchure ; là se creuse le lit profond et encaissé d’un canal coupé à vif dans la roche solide de grès rouge ; ailleurs rien n’est plus beau que l’océan de vallées et de prairies qui environnent Chester, si ce n’est le sauvage orgueil des montagnes du pays de Galles, qui se dessinent à distance. Ces montagnes, debout dans leur majesté tranquille, dévoilent un autre système, ou, pour mieux dire, un autre âge de la nature que la roche avec laquelle le mur de Chester a été bâti. Les sombres masses d’ardoise semblent mépriser le grès rouge comme un parvenu, car la noblesse des roches est, ainsi que celle des hommes, dans l’antiquité de leur origine. Vues des remparts de Chester, les montagnes des Wales se confondent avec la ligne extrême du ciel, et en vérité on les prendrait elles-mêmes pour des nuages durcis en pierre. Cette assimilation semblera peut-être injurieuse pour des monumens de la nature qui représentent volontiers la force et la stabilité ; mais au point de vue de la géologie, les montagnes ne sont point à l’abri des vicissitudes, elles passent avec les âges d ! une forme à une autre forme. Le vent chasse le nuage qui change, le temps pousse et altère la montagne.

Sur ces mêmes remparts de la ville, je rencontrai un homme d’une cinquantaine d’années qui contemplait d’un œil réfléchi les solennités de la nature et du passé. C’était un ancien clerc de la paroisse qui avait été contraint de résigner ses fonctions à cause d’une maladie qui lui avait affaibli la vue. Il ne faisait point profession d’antiquaire, et pourtant il était aisé de reconnaître à son langage un admirateur sincère et assidu des vénérables reliques de l’histoire. Pour lui, il n’y avait que Chester au monde, et j’avoue que dans le moment je partageais son illusion. Quoique pauvre et mal vêtu, il était optimiste : à la vue des anciens monumens qui rappelaient de distance en distance les souvenirs de la féodalité, les sanglantes guerres de religion et les temps d’ignorance, il s’extasiait sur le bonheur qu’il y a de vivre dans un siècle éclairé. Je n’aime point les ciceroni ; mais celui-ci n’était point un homme du métier. « Je suis, me dit-il, un enfant de la ville. Autrefois je passais mes loisirs