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que notre brillante et courte campagne finit, et que le corps expéditionnaire français est déjà rentré sur notre territoire, après avoir infligé une vigoureuse correction aux tribus indisciplinées du Maroc, l’armée espagnole paraît sur la côte, africaine. Les débarquemens de troupes se succèdent. Le général O’Donnell est parti de Madrid, il y a quelques jours, pour aller prendre lui-même le commandement de l’expédition, et tout est en mouvement dans le midi de l’Espagne. Les hostilités ont même déjà commencé, et ces premiers combats, comme on devait le penser, ont été tout à l’honneur des armes espagnoles. D’un autre côté, les cortès viennent d’être suspendues à Madrid après avoir voté le budget au pas de course. Et puisqu’il s’agit de guerre, on pourrait dire que le président du conseil, avant de partir, n’a point négligé d’assurer ses positions en créant cinq grands commandemens militaires qu’il a confiés à des généraux sur lesquels il peut compter. Voilà donc le gouvernement espagnol libre de toute entrave parlementaire, rassuré sur la paix intérieure, et uniquement occupé de la guerre d’Afrique. Mais que va-t-il faire dans le Maroc ? C’est peut-être la question qui s’élève aujourd’hui plus que jamais après la publication des dépêches récemment échangées entre le cabinet de Madrid et le gouvernement anglais. L’armée espagnole obtiendra des succès sans nul doute ; elle battra les Marocains, elle ira camper dans leurs villes et occupera leurs ports. Tout ce qui est militaire, nous voulons le mettre hors de contestation ; c’est le caractère politique de la guerre qui vient de s’obscurcir d’un nuage. Au moment présent, si nous ne nous trompons, le plus grand embarras n’est pas pour le général O’Donnell, chargé de faire une campagne avec de vaillans soldats ; il est bien plutôt pour le cabinet qu’il a laissé à Madrid aux prises avec ce désenchantement d’opinion qui s’est produit aussitôt qu’on a connu les incidens diplomatiques qui ont précédé la guerre. Pour tout dire, la diplomatie espagnole a été moins heureuse que ne le seront indubitablement les soldats campés aujourd’hui devant Ceuta.

À considérer les intérêts de l’Angleterre et sa position à Gibraltar, à voir l’animation des journaux de Londres dans ces derniers temps, on ne pouvait douter que l’expédition préparée par le cabinet de Madrid contre le Maroc ne fût pour le gouvernement anglais l’objet d’une vive et pressante sollicitude. On peut voir aujourd’hui par les pièces mêmes de cette négociation, qui a été comme le prologue de la guerre, ce qu’il a fallu pour désarmer l’Angleterre, à quel prix elle a laissé s’accomplir l’expédition espagnole. L’Angleterre, on ne saurait le nier, va droit au but, elle fait ses conditions d’une façon qui pourrait paraître impérieuse. Une déclaration de désintéressement ne lui suffit pas : elle demande au gouvernement espagnol l’engagement écrit de ne poursuivre aucune conquête dans le Maroc, de n’occuper aucun port d’une manière permanente, de se retirer de toutes les positions conquises aussitôt après la ratification d’un traité de paix, et il est expressément stipulé que c’est immédiatement après la ratification de la paix, non après l’exécution des conditions. Ce n’est point vraiment dans son intérêt que l’Angleterre, maîtresse de Gibraltar, tient tant à ce que l’Espagne n’occupe aucun point de la côte d’Afrique dans le détroit ; c’est afin que la puissance espagnole ne puisse gêner la liberté de la navigation ! Le cabinet de