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assiste au spectacle nouveau d’une révolution victorieuse élevant sur le trône une dynastie qui n’a d’autre mandat que de maintenir les libertés nationales. Si l’on se rend compte de l’importance illimitée qu’a eue pour toute l’Europe la révolution anglaise de 1688, si l’on se rappelle que le XVIIIe siècle français, tout original et fécond qu’il ait été, plonge cependant par ses racines dans la société anglaise qui sortit de cette révolution, on ne trouvera rien d’arbitraire dans la date indiquée. Au fond, le XVIIIe siècle est révolutionnaire dès son aurore, et il conserve jusqu’à la fin son caractère originel. Nous le faisons commencer à bon droit avec le moment où l’esprit moderne, jusque-là confiné en Hollande, triomphe, à la face du monde, chez le peuple le mieux préparé par son passé à l’incarner dans ses institutions.

Par la même raison qui nous fait dire que le XVIIe siècle fut très court, nous dirons que le XVIIIe fut très long. La révolution française, qui est son point culminant, n’arrive qu’à la fin, et ce serait une grande erreur de croire qu’elle se termine avec l’empire. À part l’affermissement irrévocable de certaines réformes civiles et égalitaires qui lui doivent leur consécration définitive sur le sol national, on ne peut pas admettre que Napoléon ait clos la révolution. En 1815, on dirait au contraire qu’un doigt mystérieux a rayé de l’histoire tout ce qui s’est passé entre 92 et l’invasion. L’antagonisme des deux tendances qui se partagent le pays est identique de tous points à celui qui le divisait le jour de l’ouverture des états-généraux. Le tiers-état recommence contre la noblesse et le clergé une lutte acharnée, dans laquelle le trône n’est toléré par lui qu’à la condition d’être son allié. Il y a de part et d’autre quelques expériences de plus, il y a la peur de certains excès, et encore ne s’en douterait-on pas toujours ; il y a enfin dans le monde quelques nouveau-venus encore isolés et certains pressentimens d’une autre philosophie, d’une autre littérature, d’une autre poésie. Surtout ce qui est nouveau, c’est que le spiritualisme ressuscite, au moins à l’état de tendance, marquant son réveil principalement dans la littérature par cet amour de l’infini que le XVIIIe siècle connut si peu. Ce sont néanmoins les germes à peine éclos de plantes futures cachées sous les grands végétaux qui couvrent encore le sol. En réalité, de 1815 à 1830, c’est le XVIIIe siècle qui combat le XVIIe ; c’est l’esprit de Voltaire, de Montesquieu, de Rousseau, continuant de poursuivre l’esprit de Bossuet et de Louis XIV. 1830 est la victoire du XVIIIe siècle sur le XVIIe, victoire pleine de ménagemens de la part du vainqueur. En cela se montre le fruit d’une expérience douloureusement achetée. On songe moins à extirper le XVIIe siècle politique et religieux qu’à faciliter la transition qui lui permettra de passer insensiblement