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la dette anglaise a cessé de s’accroître ; au contraire elle a été réduite. En 1818, l’Angleterre avait à payer 747 millions d’intérêts pour un capital emprunté de 21 milliards de francs ; en 1858, elle ne payait plus que 720 millions pour un capital emprunté de 20 milliards. Ce fait est d’autant plus remarquable que dans la même période le capital de la dette s’est élevé chez nous de 3 milliards 340 millions à 7 milliards 800 millions, et le service des intérêts annuels de 165 millions à plus de 390. C’était beaucoup de ne pas augmenter la dette, de la restreindre même ; mais les Anglais ne se sont pas contentés de cet avantage négatif. Ils se sont, avec une persévérance systématique, appliqués à réduire leurs dépenses, et en cela ils donnaient un nouveau gage au monde de la sincérité de leurs intentions pacifiques, puisqu’ils ne réalisaient d’importantes économies qu’aux dépens de leur établissement naval et militaire. Ce n’est pas tout encore : en même temps qu’ils réduisaient leurs dépenses, ils entreprenaient sur leur budget des recettes, sur le système de taxation qui alimentait leurs revenus, les expériences les plus habiles et les plus fécondes, dont les résultats sont devenus un enseignement pour tous les peuples. Le succès de leurs premiers essais en ce genre devint le point de départ non-seulement d’une réforme commerciale conforme aux principes économiques, mais d’un travail social qui seconda puissamment l’avancement matériel et moral des classes populaires. Dans cette voie, les hommes d’état anglais apportèrent aux questions qui intéressent le bien-être du peuple une sollicitude hautement avouée, qui était une disposition assurément nouvelle et originale chez un gouvernement. Par les réformes douanières, ils affranchissaient de toute entrave le travail anglais, et lui permettaient de déployer toute sa force, de jouir de tous ses fruits, car ils assuraient au peuple la nourriture et le vêtement, en cessant d’aggraver les prix naturels des choses de taxes qui n’étaient qu’un tribut indirectement payé par la nation à des classes privilégiées et à des industriels protégés. Ils ne se contentèrent pas d’assurer ainsi la subsistance matérielle de l’ouvrier, ils supprimèrent les taxes imposées sur le papier et les journaux, qui renchérissaient artificiellement sa nourriture intellectuelle. À l’inverse des gouvernemens despotiques du continent, au lieu d’étouffer la presse, ils en assurèrent la diffusion et l’influence au sein des masses. Ainsi répugnance chaque jour grandissante à se mêler aux affaires du continent, application constante à améliorer les finances, à effacer les taxes qui pèsent sur les masses, à travailler au bien-être du peuple, à préparer par la libre culture intellectuelle son avènement progressif aux droits politiques, et à développer la liberté dans toutes les sphères de l’activité humaine, tels ont été les traits généraux de la politique anglaise depuis 1815, politique, répétons-le, qui, à mesure qu’elle se précisait davantage et s’emparait de l’esprit public, tendait essentiellement à subordonner les questions étrangères aux questions intérieures.

Quel était l’effet de cette politique sur la situation extérieure de l’Angleterre et sur les états continentaux ? Insensiblement et à plusieurs égards, elle a modifié la situation de l’Angleterre vis-à-vis des cours et des peuples. Elle a sans doute affaibli le crédit de l’Angleterre auprès des cours, et elle a laissé le champ libre aux peuples qui ont eu la volonté et le courage de