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Nous nous donnions le bal avec la comédie.
Jusqu’au matin, la valse avec sa mélodie
Nous emportait, joyeux danseurs, loin du regard
Des tantes qu’un boston retenait à l’écart ;
Les portraits des aïeux, du haut des boiseries,
Seuls, écoutaient d’un air pensif nos causeries.
— Elle était bien jolie, alors qu’un soir d’été
Sa mère l’amena : — teint frais et velouté,
L’air enjoué, des yeux de violette éclose,
De bruns cheveux crêpés, et sous sa robe rose
Une poitrine émue et se gonflant souvent.
Elle avait dix-sept ans et sortait du couvent ;
À voir son fin regard, ses lèvres de cerise,
Sa coiffure piquante et sa grâce, on l’eût prise
Pour une des beautés du siècle du régent.
Elle parla. J’entends encor sa voix d’argent,
Et je crois voir encor sur sa bouche entr’ouverte,
Comme un oiseau posé sur une branche verte,
Son sourire mutin passer et voltiger,
Toujours plus enchanteur et toujours plus léger.
Je restais ébloui. Tout à coup la musique
Fit aux valseurs épars un appel énergique ;
Vers elle j’accourus, le cœur tremblant d’émoi,
Mais, hélas ! deux danseurs accouraient avec moi.
Elle nous regarda d’un air plein de malice ;
Comme un bouton de rose au sortir du calice,
Sa bouche souriante alors s’épanouit,
Et, nous ensorcelant d’un regard, elle dit :
— Je ne sais qu’un moyen de finir la bataille,
Il vous faudra tirer à la plus courte paille.
Nous battîmes des mains ; d’un doigt prompt et coquet
Mutilant sans pitié les fleurs de son bouquet,
Elle arracha gaîment trois rameaux de pervenche
Qu’elle tint à demi cachés dans sa main blanche :
— Çà, que chacun, fit-elle, en tire un à son tour !
Les brins pris, ô bonheur ! je tenais le plus court…
Je sentis dans ma main plier sa taille frêle,
Et la valse au doux vol nous ravit sur son aile.
L’orchestre soupirait un vieil air allemand
Dont le rhythme naïf nous berçait mollement ;
Son cœur battait, ses yeux brillaient, sa main captive
Sur la mienne déjà s’appuyait moins craintive.
La valse était finie, et nous valsions toujours…
O première jeunesse ! ô premières amours !