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accrédité en Chine reçoive l’ordre d’établir sa résidence habituelle et permanente ailleurs qu’à Pékin, où il se rendrait seulement à certaines époques périodiques ou toutes les fois qu’une affaire importante l’y appellerait. » C’était la seule transaction que, dans la position qu’il avait prise et après le traité signé, lord Elgin pût accorder aux commissaires, et il n’hésita plus à la proposer.

Nous n’avons pas les dépêches par lesquelles Kouei-liang et Houa-shana firent connaître à Pékin leur demi-succès. On les retrouvera peut-être un jour, et ce seront probablement des pièces curieuses. Les dignes mandarins, tournés vers leur soleil, n’auront pas manqué de s’épanouir dans la joie de leur triomphe, le premier, le seul qu’ils eussent remporté dans cette laborieuse campagne : ils auront envoyé au céleste empereur un magnifique bulletin ; mais si nous n’entendons pas les fanfares de la victoire, nous avons sous les yeux le rapport de l’ambassadeur anglais sur sa généreuse retraite. Au point où en étaient les choses, il fallait que lord Elgin se justifiât. Le traité de Tien-tsin était déjà connu à Londres et en Europe : il avait obtenu d’unanimes suffrages. On vantait l’habileté du négociateur, on analysait complaisamment chaque article, et en particulier celui qui stipulait la création d’un poste diplomatique à la cour de l’empereur de Chine. C’était là une clause décisive, inespérée, d’où devait sortir dans un avenir prochain l’alliance des deux civilisations et des deux races ! Comment annoncer et expliquer le mouvement de recul qui venait d’être opéré à Shang-haï ? Ne risquait-on pas de refroidir brusquement tout cet enthousiasme ? Aussi, dans la dépêche qu’il écrivit à lord Malmesbury le 5 novembre 1858, lord Elgin jugea nécessaire d’exposer longuement les graves motifs qui avaient inspiré sa conduite. « Il est certain, disait-il, que les Chinois éprouvent une répugnance presque invincible contre la présence permanente d’ambassadeurs étrangers à Pékin. Cette innovation blesse leurs principes politiques, leurs habitudes, leurs mœurs ; elle les alarme au plus haut degré, et il faut prendre garde de placer l’empereur dans l’alternative, ou de tenter une résistance désespérée, ou de subir passivement une condition qu’il considère, à tort ou à raison, comme la plus fatale qui puisse être imposée à l’empire. Il y avait à craindre qu’après la signature du traité de Tien-tsin, les commissaires impériaux ne fussent dégradés : cette crainte ne s’est pas réalisée ; mais si, après leurs dernières démarches auprès de moi, ils s’en étaient retournés à Pékin sans y rapporter la moindre concession, leur disgrâce eût été inévitable, et alors que fût-il advenu de l’exécution du traité ? Il a donc été sage de céder dans une certaine mesure. Du reste, le texte du traité est maintenu, notre droit demeure intact, et nous serons fondés à en user, si cela est nécessaire. La