Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 24.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce n’était pas seulement dans l’intérêt de la Chine, c’était encore au profit de la Russie qu’il faisait appel à l’esprit de modération du plénipotentiaire britannique. Lord Elgin déclara, dans sa réponse, qu’il partageait complètement les opinions du comte Poutiatine, qu’il ne voulait que le bien des Chinois, et qu’en réclamant la faculté d’établir dans la capitale une représentation diplomatique, la France et l’Angleterre comptaient épargner à la Chine de nouveaux malheurs. Il était donc résolu à aller jusqu’au bout.

Quelques jours s’écoulèrent sans incident. Les commissaires impériaux attendaient de Pékin des instructions. Le 21 juin, ils écrivirent à lord Elgin qu’ils venaient de recevoir un décret impérial à l’effet de remettre en délibération plusieurs points qui soulevaient de graves objections. Après de grandes protestations d’amitié et de sincérité, ils insistaient particulièrement pour la révision de deux articles : l’admission des ministres dans la capitale et l’ouverture du Yang-tse-kiang aux navires étrangers. Le rédacteur des instructions avait probablement retrouvé dans son dossier le rapport où les mandarins avaient fait connaître que les barbares ont horreur du froid, et il s’empara avec empressement de cet argument nouveau pour le communiquer à Kouei-liang. On disait donc à lord Elgin que le nord de la Chine est un pays glacial, très humide, fort malsain, et que les étrangers ne pourraient jamais s’y acclimater. Il valait donc mieux que le gouvernement anglais ajournât à une autre occasion, si cela devenait nécessaire, l’envoi d’un ambassadeur à Pékin, et que lord Elgin ne s’exposât point aux fatigues de ce voyage. Quant à l’entrée des navires anglais dans le Yang-tse-kiang, ce serait une clause très préjudiciable pour le commerce chinois. Les Anglais faisant eux-mêmes leurs achats et leurs ventes, le trafic intermédiaire se trouverait anéanti, et le peuple ne pourrait plus vivre ; de là un mécontentement universel dont les conséquences seraient funestes. « Croyez-nous, écrivaient les commissaires, nous ne cherchons pas à plaisir les délais ni les réponses évasives. Nous voulons nous entendre avec vous, et nous craignons que dans l’avenir les conditions auxquelles vous attachez tant d’importance ne vous soient plus nuisibles qu’avantageuses. Et puis ne devons-nous pas prendre en considération le sentiment populaire ? »

Ce n’était pas là ce qu’attendait lord Elgin. Il croyait que, dès le 11 juin, tout était convenu, et qu’il ne restait plus qu’à rédiger en forme les articles du traité. Pour la seconde fois, il voyait se rompre entre les mains des Chinois le fil des négociations ; il recevait des dépêches contraires aux promesses verbales, il apercevait des symptômes plus ou moins marqués de rétractations et de faux-fuyans. Impatient et mécontent, il voulut mettre un terme à ce perpétuel