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à fondre en larmes, puis il raconta en détail ses infortunes, les accusations de trahison et de concussion portées contre lui, sa disgrâce, son emprisonnement, tout cela à cause de sa bienveillance pour les étrangers. — Et maintenant, ajouta-t-il, on m’envoie ici parce qu’on suppose que je pourrai arranger les affaires. Si je ne réussis pas, il y va de ma tête. L’empereur me l’a dit. Il faut absolument que je voie lord Elgin. — Il rappela ensuite les bons rapports qu’il avait toujours eus avec les Anglais. — Vous êtes une grande nation, une excellente nation, je n’ai pas craint de le déclarer à l’empereur. On vous a indignement traités. Le bon droit est pour vous. Récemment, pour cette affaire du sceau, vous avez eu raison d’insister, mille fois raison ! — Enfin, quand on en vint à toucher quelques mots des négociations pendantes, et que les interprètes lui demandèrent son avis, il ne trouva qu’une solution : — Allez-vous-en de Tien-tsin, vous et vos navires. Dès que vous aurez franchi la barre du fleuve, tout s’arrangera à merveille, je vous en réponds. — Quel triste rôle jouait là ce vieillard de soixante-douze ans, faisant la cour aux deux Anglais, les comblant de politesses et de flatteries, les suppliant presque à genoux de l’écouter, de le croire, de lui sauver la vie ! Pour M. Wade, qui avait traduit le fameux rapport sur l’art d’amadouer les barbares, la scène était probablement plus comique qu’émouvante : c’était la morale politique chinoise en action, représentée par un acteur émérite ; mais pour Ky-ing (le dénoûmenf l’a prouvé) il s’agissait bien d’un drame qui devait, à quelques jours de là, se terminer par une condamnation à mort et par un suicide. Il en était au quatrième acte, où le personnage, avant de tomber, se relève pour livrer au destin un dernier et brillant combat. Le 11 juin, Ky-ing, que son titre de vice-président honoraire n’avait pu introduire auprès de lord Elgin, reçut les pouvoirs de commissaire impérial, et se trouva dès lors régulièrement accrédité. Le 25 juin, il s’étranglait.

Cependant, même avant l’adjonction de Ky-ing, qui n’exerça qu’une influence très secondaire sur les négociations et dont nous ne parlerons plus, il y avait eu entre les commissaires impériaux et les ministres étrangers un commencement de discussion sur les articles des projets de traités. Le 6 juin, M. Lay, l’interprète de lord Elgin, avait eu une première conférence, d’abord avec Kouei-liang ; et Houa-shana, puis avec leurs secrétaires, pour préciser le sens des conditions posées dans la dépêche du 11 février, sur laquelle le cabinet de Pékin et ses plénipotentiaires avaient eu tout le temps de méditer. Ces conditions, parfaitement claires, furent successivement commentées par M. Lay, qui, arrivé à la clause de l’admission d’un ministre anglais dans la capitale, signala ce point comme étant