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est perpétuellement trompé, mystifié, et pour lui comme pour nous c’est un grand malheur. L’ignorance vraiment incroyable des Chinois sur tout ce qui se rattache aux nations étrangères, le respect des préjugés traditionnels, la crainte des disgrâces, empêchent les autorités provinciales de dire la vérité et de transmettre au gouvernement les fâcheuses nouvelles : d’où il résulte qu’à Pékin on continue à regarder les Européens comme une race inférieure en civilisation, turbulente, astucieuse, avide, qu’il faut tenir à distance. Du reste, l’empereur n’ordonne pas de malmener systématiquement ces barbares ni de leur manquer de foi, il a même pour eux des sentimens d’indulgence et des expressions paternelles ; quand il prescrit de rejeter leurs demandes, il invoque lui-même les traités, en désirant qu’on les observe strictement, mais sans concession nouvelle. Il recommande à ses mandarins d’employer, selon les circonstances, la douceur aussi bien que la menace. Il est convaincu qu’il est ainsi le plus clément, le plus hospitalier des souverains, et quand il se fâche, c’est qu’il ne comprend pas comment une petite poignée de marchands s’en vient à tout propos l’importuner de réclamations impertinentes ou futiles. On aperçoit cependant que, sans se l’avouer, il a un vague sentiment du danger qui peut un jour ou l’autre troubler sa quiétude. Quand des navires européens sont mouillés dans le golfe du Petchili, il tient à les éloigner au plus vite et à se débarrasser d’un voisinage désagréable. Voilà l’impression que nous produisons à Pékin, et certes ce ne sont pas les rapports des mandarins qui peuvent la modifier.

Sir John Bowring et M. Mac-Lane ont dû passer quelques bons momens quand ils ont lu, dans les rapports confidentiels d’Hiang, de Tsoung-lun et consorts, le récit de leur excursion à Tien-tsin en 1854. Il n’est pas besoin de dire qu’ils n’ont eu à subir ni les leçons de convenances, ni les injonctions hautaines, ni les rebuffades de ces fiers mandarins. Ils ont trouvé au contraire des Chinois fort polis, les saluant très civilement à mains jointes, leur offrant du thé et des gâteaux sucrés, protestant de leur amitié pour les Européens, puis discutant chaque proposition avec calme et promettant pour quelques points de donner satisfaction, enfin, quand il s’est agi du Yang-tse-kiang et de Pékin, levant les yeux au ciel, déclarant que c’était impossible, que jamais ils n’oseraient en parler à l’empereur, qu’ils risqueraient leur tête, et suppliant qu’on s’en tînt là. Comme les deux ministres n’avaient ni l’intention ni les moyens de pousser plus loin les choses, ils sont partis. Voilà probablement la scène très simple qui s’est passée à Tien-tsin. On a vu la parodie qu’ont su en tirer, pour les besoins de leur cause et pour le salut de leurs boutons rouges, les diplomates chinois, et il ne faut pas trop s’en