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à Canton, au milieu d’une population turbulente et plusieurs fois bombardée, qu’il convenait de porter l’appréciation calme et souveraine des difficultés internationales. L’admission des ministres étrangers à la cour de Pékin semblait être la conséquence nécessaire de la nouvelle politique. Aussi lord Elgin voulait-il l’obtenir à tout prix. Examinons pourtant si les documens confidentiels trouvés dans les archives du vice-roi de Canton n’étaient point de nature à modifier ses premières impressions. Nous voici arrivés à la partie la plus curieuse et la plus instructive du blue-book. C’est un récit d’histoire chinoise, écrit par les Chinois.

En 1854, sir John Bowring, gouverneur de Hong-kong, et M.Mac-Lane, ministre des États-Unis, se rendirent dans le golfe du Petchili pour demander la révision des traités. L’insurrection chinoise étant alors à son apogée, ils crurent que le cabinet de Pékin se montrerait plus conciliant. Ils avaient du reste un motif très plausible pour tenter une démarche directe. Des difficultés s’étaient élevées à Shang-haï au sujet de la perception des droits de douane ; les représentations des consuls n’avaient pas été écoutées ; le vice-roi de Canton, Yeh, avait manifesté du mauvais vouloir. Sir John Bowring et M. Mac-Lane jugèrent donc qu’à l’occasion de ce grief, peu important au fond, ils pourraient, avec quelque chance de succès, reprendre l’ensemble de la question chinoise, et proposer de concert une série de conditions nouvelles, parmi lesquelles figuraient en première ligne l’admission des ambassadeurs étrangers à la cour de Pékin et l’ouverture des ports du Yang-tse-kiang. La plupart des dépêches secrètes échangées par les mandarins à propos de ce voyage des deux ministres au Petchili sont tombées entre les mains des vainqueurs de Canton, et ont été traduites par l’interprète anglais, M. Wade. Lord Elgin a donc pu connaître parfaitement le terrain sur lequel il allait s’engager.

La première pièce de cette curieuse correspondance est un rapport adressé à l’empereur par Hiang, gouverneur-général des deux Kiangs, qui rend compte, à la date du 24 juin, de ses efforts pour détourner M. Mac-Lane de se rendre à Tien-tsin. Hiang a fait observer au ministre américain qu’indépendamment de l’interdiction inscrite dans les traités, Tien-tsin est devenu inabordable, attendu que la population y a élevé d’immenses fortifications pour se défendre contre les rebelles, et qu’il y a là cent mille volontaires parfaitement disciplinés qui ne manqueraient pas de repousser violemment les étrangers[1]. Il a ensuite discuté de point en point et

  1. Ce mensonge, qui, à ce qu’il paraît, fut trouvé fort adroit en 1854, a été répété cinq ans plus tard lors de la malheureuse affaire de Takou. C’était, au dire des Chinois, pour repousser les rebelles que les habitans de la côte avaient élevé les forts qui firent feu sur l’escadre de l’amiral Hope.