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politique, car les entreprises et les guerres de la Grande-Bretagne en Asie ne sont autre chose qu’une incessante conquête de marchés nouveaux pour les manufactures. Il était difficile d’accuser le tarif chinois, qui, avec ses taxes de 5 pour 100 environ, est à coup sûr l’un des plus hospitaliers du monde. On s’en prit alors à la mauvaise foi des mandarins, à leurs exactions, aux taxes de transit irrégulièrement perçues à l’intérieur de l’empire sur les marchandises anglaises, aux coalitions des négocians indigènes, etc. Les documens recueillis par lord Elgin permettent de contrôler ces allégations, et jettent une vive lumière sur les destinées du commerce européen en Chine.

Au-dessus des difficultés accessoires et des entraves réglementaires, qui exercent assurément leur influence, il y a un fait général qui domine la condition du marché : c’est que le Céleste-Empire est lui-même une immense manufacture, merveilleusement organisée pour la production, possédant à la fois la matière première et une main-d’œuvre inépuisable, et compensant en partie par le bas prix du salaire ainsi que par le vaillant travail des ouvriers les avantages que l’industrie européenne doit à l’emploi des machines. Les fabricans anglais ont donc à lutter contre une concurrence très sérieuse, notamment pour la vente des tissus, et ces ardens partisans du free trade ne sauraient reprocher à leurs rivaux un résultat tout à fait conforme à la loi économique. Quant à la mauvaise foi et aux exactions des mandarins, l’argument est très contestable. L’un des consuls anglais déclare, dans un mémoire adressé à lord Elgin, que, sauf à Canton, où la situation a toujours été exceptionnelle, les fonctionnaires chinois ont exactement observé les clauses des traités, et même qu’ils ont accordé aux Européens certaines facilités qui n’avaient pas été expressément stipulées. Quelques mandarins ont favorisé la contrebande et fermé les yeux sur les transports d’opium ; mais ce ne sont pas apparemment les contrebandiers ni les marchands d’opium qui ont à se plaindre de ces actes de concussion, qu’ils récompensent et dont ils profitent aux dépens du gouvernement chinois. La perception de droits de transit à l’intérieur de l’empire, contrairement aux engagemens pris lors de la rédaction du tarif, donnerait lieu à des réclamations plus légitimes. Il paraît à peu près établi que ces taxes existent, bien que les consuls anglais n’aient jamais pu jusqu’ici en préciser le taux ni même découvrir les douanes ou s’effectue la perception ; mais, sur ce point encore, les Chinois ont une excuse puisée dans les habitudes de leur organisation financière. Les produits des douanes maritimes étant versés dans le trésor impérial, le gouvernement de Pékin peut à son gré décréter ou supprimer les taxes, et par conséquent tenir